ÉDITORIAL

 

Réseaux informatiques mondiaux, micro-ordinateurs de plus en plus puissants envahissant les supermarchés, envolée des CD-ROM et du multimédia, WINDOWS-95... le contraste est trop grand avec le développement hésitant de l'informatique dans le système éducatif. Regarderait-on l'avenir de nos enfants par le mauvais bout de la lorgnette ?

Vous trouverez, une fois de plus, dans les informations et documents de ce numéro de quoi vous réjouir si vous avez l'optimisme chevillé au corps mais surtout de quoi vous impatienter.

Conférence de presse de rentrée : rien sur l'informatique et les technologies nouvelles. En réponse à une question sur leur présence à l'école primaire, le ministre répond cassette vidéo.

Deux pages sur les technologies nouvelles dans le Dossier de presse (voir rubrique "Documents", pp. 35 à 39) : les innovations portent sur le multimédia et l'enseignement à distance pour les "options accessibles à tous", l'initiation aux langues vivantes (K7) et les "grands chantiers". Sans nier l'intérêt à terme de plusieurs de ces approches, nous souhaiterions une meilleure prise en compte de la réalité vécue. Qui d'entre nous reconnaît dans ces "chantiers" l'informatique pédagogique ? Il y a pourtant encore beaucoup à faire. Toujours cette fuite en avant qui dispense de consolider et de développer les pratiques actuelles.

Enseignement de l'informatique en seconde (pp. 17-18) : comment ne pas nous en féliciter, mais en même temps comment ne pas s'inquiéter d'un horaire aussi restreint et de l'absence de moyens spécifiques ? Quel impact réel cette option aura-t-elle eu à la rentrée après une parution aussi tardive ? Quel avenir peut-on espérer si les mesures d'accompagnement ne suivent pas ?

Va-t-on encore longtemps se dispenser de faire évoluer les formations initiales et les concours de recrutement ? Va-t-on se décider à organiser des formations continues qui soient autre chose que des saupoudrages ? Peut-on accepter que la grande majorité des enseignants, notamment dans l'enseignement général, regardent passer le TGV informatique sous leur fenêtre, que tant de collègues des enseignements technologiques et professionnels soient en difficulté par insuffisance des moyens et des formations ? Sans vouloir sombrer dans le pessimisme, les conclusions des deux enquêtes de la DEP (pp. 47 à 50) réalisées en 1994 sur les enseignants des écoles, d'une part, et ceux des collèges et lycées, d'autre part, confirment (à la hausse !) ce que nous savions. 68 % des enseignants utilisent rarement ( ?) ou jamais (le plus souvent jamais) "l'outil informatique". Les utilisateurs réguliers sont essentiellement dans les enseignements techniques et professionnels ; pour l'enseignement général les chiffres s'effondrent (80 % de non utilisateurs dans les collèges, selon la DEP, malheureusment plus selon nous). Plus inquiétant encore, quand on interroge les enseignants des collèges et lycées sur leur "optimisme sur l'avenir du système éducatif selon la capacité de l'Education nationale à s'adapter aux exigences nouvelles", 80 % répondent "assez peu" ou "très peu / pas du tout optimiste". Ne serait-il pas temps de nous ressaisir ? Le système éducatif peut-il se permettre d'ignorer l'informatique et les technologies nouvelles en cette fin de siècle ?

L'insuffisance des équipements (cf. Revue n°78) est certainement une cause aggravante mais n'est pas une explication suffisante.

Par ailleurs, comment les enseignants et formateurs peuvent-ils se sentir concernés et mobilisés quand, dans les textes et programmes officiels, les "éventuellement", "lorsque cela est possible" ou "on pourrait ...", viennent tempérer toute allusion furtive à l'informatique et aux technologies nouvelles (cf. Revue EPI n°77, pp. 3-5 ; cf. ce numéro, pp. 41-45) ?

Doit-on se résoudre à tant de retenue ?

Que la mouvance EPI, au sens le plus large du terme, réalise des actions remarquables, comme en témoignent régulièrement les articles de cette Revue, nous réjouit mais ne nous satisfait pas pleinement. Nous restons préoccupés du fait que la grande majorité des enseignants reste "en dehors". Une civilisation de l'information se crée sous leurs yeux sans que leur démarche professionnelle en soit modifiée.

C'est un vrai problème politique, au sens étymologique du terme, car il s'agit de l'avenir des élèves futurs citoyens du 21ème siècle. Il ne peut être résolu, dans un temps raisonnable compatible avec l'évolution fulgurante de la technique, que par une politique volontaire, concertée et globale de l'Institution. Y aura-t-il un homme politique, au plus haut niveau, pour s'y consacrer ? L'EPI continue inlassablement de solliciter tous les responsables, et nous venons d'écrire récemment au Président de la République (p. 53), au Premier Ministre et à Roger Fauroux.

En même temps, nous nous attachons à aller, notamment par des actions logicielles, vers les collègues qui n'ont pas encore franchi le pas ou s'apprêtent à le faire. Ainsi, les disquettes successives "maternelle et cycles des apprentissages" par leur coût modéré, le fait qu'elles "tournent" sur toutes les machines même obsolètes, leur usage très simple et leur bon impact pédagogique, sont de nature à convaincre. Ainsi également la bourse d'échanges (cf. pp. 183 à 196) dont le démarrage rapide montre une réelle attente, bien au-delà du "noyau dur", pour des produits au rapport qualité / prix (au sens que nous avons donné dans l'éditorial du numéro 66) satisfaisant.

Nous ne pourrons jamais accepter que l'informatique et les technologies nouvelles soient réservées, de fait, à une minorité. L'impérieux devoir du système éducatif est de tout faire pour compenser - là comme ailleurs et là plus qu'ailleurs - les inégalités. Actuellement, les technologies modernes donnent plus - hors de l'Ecole - à ceux qui ont déjà plus. Ceci n'est pas notre conception de la démocratie. Nous avons noté que ce n'était pas non plus celle de nombreux responsables et non des moindres.

Alors, passons aux actes !

Paris, le 29 septembre 1995

Jacques BAUDÉ
Président

Jean-Bernard VIAUD
Secrétaire général

Paru dans la Revue de l'EPI n° 79 de Septembre 1995.