Informatique en maternelle

Gilbert Boudot
 

EN GUISE DE PRÉAMBULE

     Ce qui suit ne prétend par rendre compte des multiples productions, matérielles et logicielles, qui s'adressent aux jeunes enfants dans le cadre familial ou associatif avec des prétentions pédagogiques quelquefois discutables. Il s'agit ici uniquement de l'informatique qui franchit les portes de l'école maternelle pour être utilisée par des enseignants durant les heures scolaires...

     À l'heure où l'utilité de l'ordinateur pour aider les enfants en difficulté est reconnue, c'est un truisme que d'affirmer l'importance de bénéficier de cet outil précieux le plus en amont possible, au moment où les difficultés naissent et s'installent. L'informatique chez les tout petits, oui bien sûr, mais encore faut-il en démocratiser et en maîtriser l'usage...

1 - UN PEU D'HISTOIRE

     Il y a déjà une bonne douzaine d'années (en termes informatiques : une éternité!) que l'outil informatique a fait ses premières apparitions dans les classes maternelles françaises. Les références de l'époque étaient essentiellement les travaux américains sur LOGO et, plus près de nous, les expériences effectuées par certains chercheurs dans le cadre universitaire puis au Centre Mondial d'Informatique à Paris. Après quelques réalisations expérimentales sur « gros systèmes », la diffusion commença avec les premiers « Promobiles » tortues de sol de chez Jeulin, les ordinateurs Texas Instrument (TI 99 puis TI 99/4A) et le langage LOGO. (Les essais de Jeulin concernant un ordinateur pour le monde sonore (Polyson) connurent des retombées beaucoup plus discrètes).

     Un nombre non négligeable d'expériences se sont alors développées, qui ont permis d'accumuler une somme importante de travaux d'observations, comptes-rendus et propositions d'activités avec les petits. Le frein principal à une grande diffusion de ces outils était (... et reste...) le coût élevé du matériel (Tortue de sol ou ordinateur).

2 - CE QUI EXISTE

Premières expériences

     La première possibilité envisagée a donc été de proposer aux très jeunes enfants un mobile commandé par des instructions simples sous forme de cartes. La volonté étant de faciliter l'approche des problèmes de représentation de l'espace, de schéma corporel, de causalité, de chronologie... Dans le même temps, le langage et la manipulation des codages étaient bien entendu travaillés, sans oublier une approche technologique plus ou moins intuitive.

     Le Logo du Texas Instrument, en plus de la tortue, permettait l'appel de 32 lutins mobiles aux formes facilement redéfinissables par les enfants et des activités musicales de qualité (3 voix musicales plus une voix rythmique). D'où une grande richesse de possibilités avec les tout petits.

     Le Bigtrak, véhicule programmable, nettement moins cher, mais malheureusement également moins fiable et plus fragile, a, lui aussi, permis en son temps des activités en maternelle.

     Pour l'essentiel, l'enseignant(e) utilisait ses propres créations logicielles, celles de quelques collègues ou les retombées des recherches connues, complétées de quelques rares productions commercialisées.

     Dans la mouvance du plan Informatique Pour Tous, de nouvelles machines (« Françaises ») ont envahi les terrains éducatif et familial, avec des Logos aux performances différentes du précédent, et surtout la multiplication des réalisations dédiées en Basic, Assembleur... Ce fut la mise en place d'un véritable marché éducatif, orienté d'abord vers de plus grands enfants, mais avec des retombées non négligeables en direction des plus jeunes.

     La situation actuelle en classe maternelle garde les traces de cette évolution. Dans les écoles qui se sont dotées en informatique, le Logo (tortue de sol ou « écran ») reste un environnement privilégié, avec son cortège de « Logos écran simplifiés » plus ou moins élaborés au gré des capacités adultes, depuis le déplacement de la tortue à l'aide des quatre flèches directionnelles ou dessin avec le crayon optique jusqu'aux créations d'histoires illustrées grâce à des dessins appelées par pression sur une touche ou écriture d'un petit texte.

     Dans le même temps, les logiciels « du commerce » se sont multipliés (puzzles, formes et couleurs, labyrinthes, dénombrements, jeux de mémoire, outils de création graphique ou de texte, activités musicales...). Certains d'entre eux proposent un scénario plus ou moins pertinent mais sont souvent pénalisés par les limitations matérielles (support cassette, sons et couleurs disponibles...)

     Notons des exercices tout à fait intéressants effectués à l'aide du Minitel (Bi standard), le seul « clavier informatique » gratuit... Utilisé en « local » (c'est à dire sans être relié à une ligne téléphonique, donc pas de ligne à installer, pas de communication à régler...), il permet un travail très riche sur le graphisme, les rythmes, les symétries... et, bien sûr, sur l'approche de l'écrit.

     Dans la mesure où les NanoRéseaux ne sont pas utilisés à plein temps, ils sont accessibles aux enfants de maternelle. Des essais faits avec des petites sections sur NR montrent l'intérêt de la formule. Cela amène à envisager de nouveaux logiciels plus spécifiques.

Évolution. Autres matériels

     L'arrivée sur le marché français de nouvelles machines à des prix relativement accessibles a ouvert le champ des possibilités et amené de nouvelles exigences concernant la qualité des programmes.

     Les Amiga, Atari, Macintosh et autres compatibles PC (par ordre alphabétique...), offrent à des degrés divers un nouveau confort d'utilisation par une mise en route et une fiabilité nettement améliorées, leur vitesse d'exécution, les espaces mémoire disponibles, les possibilités/qualités graphiques et, surtout, une nouvelle approche des mondes sonores particulièrement intéressante avec les petits enfants. La plupart de ces appareils, moyennant parfois l'ajout d'une carte spécifique, autorise une restitution sonore de grande qualité. Celle-ci est complétée maintenant par la possibilité de « saisir » facilement n'importe quel son qui est digitalisé en temps réel pour une intégration immédiate dans un programme. Grâce à ces capacités on peut envisager de nouvelles situations pour les enfants non lecteurs (consignes) et pour tout ce qui concerne l'apprentissage ou l'amélioration du langage oral.

     Avec le néologisme « Multimédia » (et son cortège de CD-ROM plus ou moins réinscriptibles et autres Hyper card/texte/média...), on aborde des possibilités nouvelles impressionnantes et passionnantes à explorer, mais qui dans l'ensemble, à ce jour, mettent en oeuvre des matériels encore peu accessibles parce que trop coûteux.

     Qu'on nous permette ici de regretter que les capacités remarquables des machines actuelles soient parfois mises au service de productions commerciales qui confondent logiciels pour jeunes enfants avec logiciels infantiles/infantilisants enrobés de beaux graphismes et sons attrayants (dans la droite ligne de certains complexes ludiques d'accueil grand public qui prétendent à l'épanouissement culturel de nos chères têtes blondes moyennant espèces sonnantes et trébuchantes...).

3 - QUE FAIRE ?

     Si nous schématisons à l'extrême, nous pouvons dire que l'ordinateur en classe offre deux types de situations : soit il est nanti d'un savoir à retransmettre à travers ce que l'on appelle des didacticiels, progiciels..., soit il est une aide à l'expression et à la réalisation de projets, un « muscle de secours », un outil (texte, graphisme, son...).

     Bien entendu, les logiciels pédagogiques allient harmonieusement ces deux aspects pour permettre à l'enfant de mieux s'exprimer au sens large tout en consolidant ses acquis scolaires.

     En organisant récemment une journée sur le thème de l'informatique dans le cycle des apprentissages premiers, nous avons pu remarquer que, contrairement à une opinion largement répandue, il existe un nombre important de programmes de qualité très convenable pour les enfants des classes maternelles, et ce pour un large éventail de supports matériels. Ces logiciels sont le plus souvent le fruit de travaux de collègues « en situation sur le terrain », ce qui est un gage particulièrement important de réalisme.

     Un rapide tour d'horizon des classes maternelles de Paris utilisant l'ordinateur montre l'utilisation de logiciels « classiques » en particulier pour exercer :

  • le repérage dans l'espace (tortue, puzzle, labyrinthe...) avec déplacements selon des repères absolus (haut, bas, gauche, droite) ou relatifs (la gauche du mobile, sa droite...), symétries, schéma corporel,

  • le repérage dans le temps, les rythmes, la chronologie...

  • la mémoire (Mémory...)

  • la logique, les codages

  • la reconnaissance des formes, le vocabulaire...

  • l'expression orale (décrire, raconter)>

  • l'expression écrite qui bénéficie aujourd'hui d'un engouement peut-être excessif. Il faut savoir rester raisonnable et ne pas lui donner la prépondérance sur les autres activités informatiques au moins aussi importantes.

     N'oublions pas que l'informatique pédagogique, encore plus dans les classes de petits que dans les autres, est avant tout un moment d'échanges intenses et fructueux, échanges avec la machine, avec les autres enfants, avec l'adulte.

     Dans un avenir proche, des logiciels (pour certains, déjà expérimentés avec succès) permettront des échanges vocaux et sonores qui transformeront de manière très importante l'approche de l'ordinateur par les jeunes enfants.

4 - COMMENT FAIRE ?

     Devant le nombre restreint de machines accessibles à l'heure actuelle, force est de reconnaître que l'usage de l'ordinateur n'est toujours pas chose facile pour les collègues. Les effectifs importants ne simplifient pas la tâche et demandent une organisation parfois assez lourde.

     Souvent, la disponibilité d'une personne en complément de l'instit (directrice, parent, dame de service...) ouvre l'accès au NanoRéseau voisin. L'ordinateur en « fond de classe » reste la solution la plus séduisante en permettant la rotation d'enfants par petits groupes et une meilleure intégration de l'informatique dans les activités de la classe.

     Deux solutions s'offrent donc aux maternelles pour le choix de matériels : soit, et c'est le moins onéreux, la récupération d'ordinateurs donnés ou peu coûteux, considérés comme « dépassés » mais qui peuvent rendre encore bien des services (attention toutefois à certains « vieux coucous » sans utilité pédagogique), soit entrer dans « la cour des grands » et supporter l'investissement parfois important dans des systèmes très séduisants et pleins d'avenir, d'après ce qu'en disent les marchands...

5 - L'ORDINATEUR EST UN OUTIL PÉDAGOGIQUE IMPORTANT ET RECONNU. POURQUOI FAUT-IL LE MENDIER ?

     Les écoles maternelles demeurent les parents pauvres de l'informatique pédagogique, alors que de nombreuses réalisations de qualité ont amplement démontré l'importance et l'efficacité de l'ordinateur en « préscolaire ».

     Oubliée par le plan IPT, et malgré une récente prise en compte ministérielle de son importance, la maternelle ne fait pas encore partie des terrains prioritaires pour les attributions municipales. Au vu de la faiblesse des moyens actuellement disponibles, l'implantation risque de ne se faire que très (très) progressivement.

     Force est donc de se retourner vers la bonne volonté des parents, vers des subventions et autres aides souvent bien hypothétiques.

     Cette « privatisation » de fait, encore plus perceptible ici que pour l'école élémentaire, laisse courir un risque de dérapages « démago-pédagogiques » à coups de tortues exotiques ou autres souris de la bande dessinée et du dessin animé. Le second risque particulièrement important, si l'on admet que l'outil informatique n'est pas un gadget mais un « plus » pédagogique réel, est la mise en place d'écoles à deux vitesses, celles des nantis et celles des démunis.

     Pourrons-nous, alors, encore parler d'Informatique Pour Tous ?

Gilbert BOUDOT
Membre du Bureau national de l'EPI

NDLR : cet article est paru dans la revue Médialog n° 15.

Paru dans la  Revue de l'EPI  n° 74 de juin 1994.
Vous pouvez télécharger cet article au format .pdf (91 Ko).

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