Informatique à l'école maternelle

Michel Chabot
 

I - PRÉAMBULE

     L'école maternelle Archereau est une des premières à Paris à avoir permis à de jeunes enfants d'utiliser l'informatique. En effet, dès 1982, un PC était au service des grands (5/6 ans) de l'école. Le club ADEMIR (Association pour le Développement dans l'Enseignement de la Micro-Informatique et des Réseaux) est implanté dans cette école depuis 1984, il est animé par des enseignants et par des parents d'élèves.

II - RENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX

a - Milieu socio-culturel des enfants accueillis dans l'école

1) Le quartier

     L'école est située au coeur d'un espace piétonnier appelé « Ilot Riquet ». C'est le fruit d'une opération de rénovation dans le 19ème arrondissement de Paris. Situé sur un emplacement déclaré Z.A.C. (zone d'aménagement concerté) le 22/08/62, l'îlot Riquet était occupé alors par des immeubles vétustes et insalubres.

2) La population

     Ce secteur scolaire est composé de trois grandes catégories socio-professionnelles (C.S.P.) :

  1. celle qui est propriétaire ou locataire d'un appartement dans les « tours » et qui correspond à des C.S.P. favorisées.

  2. celle qui est locataire dans la partie des H.L.M. des "Orgues" et qui correspond à des C.S.P. moyennes ou modestes.

  3. celle qui habite dans les immeubles situés rue de Flandre et correspond essentiellement à des C.S.P. défavorisées et souvent d'origine étrangère.

     Actuellement l'école compte 30 % d'enfants d'origine étrangère et 10 % de non-francophones.

     La plupart des enfants sont scolarisés vers 3 ans, leurs parents travaillent tous les deux, dans la majorité des cas.

  • 80 % fréquentent la demi-pension

  • 35 % fréquentent la garderie du soir

  • 30 % fréquentent le centre de loisirs le mercredi

  • 10 % fréquentent le petit-déjeuner organisé par les institutrices de 7 h 45 à 8 h 30.

b - Niveau des classes où ces activités se pratiquent

     Cette école accueille 210 enfants. Cinq classes sur les sept que compte l'école pratiquent régulièrement l'informatique avec leurs élèves :

  • 3 classes de petits-moyens-grands (multi-âges)

  • 2 classes de moyens-grands.

c - Matériel utilisé

     L'école possède deux Amstrad PC 1512 DD, dont un entièrement consacré à la gestion de la bibliothèque. Le club Adémir laisse à la disposition de l'école un Nanoréseau de 4 postes, 1 PC Goupil et 1 AT.

     Ce matériel est installé au rez-de-chaussée de l'école, dans une petite salle blindée d'environ 15 m2 (un projet a été déposé auprès de l'Inspection administrative pour repousser une cloison, ces petits travaux permettraient de récupérer environ 5 m2, ce qui donnerait la possibilité d'ajouter trois ou quatre ordinateurs supplémentaires).

III - RENSEIGNEMENTS PÉDAGOGIQUES

a - Objectifs poursuivis

     Les objectifs dépendent des activités proposées par les logiciels et s'intègrent aux objectifs généraux de l'école maternelle, si ces objectifs ne sont pas spécifiques à l'activité informatique, ils en sont la motivation.

     Au niveau de l'école maternelle, les premiers essais d'utilisation de l'ordinateur ont montré qu'il était possible de créer de nouvelles situations d'apprentissages attrayantes et performantes.

     Toutes les observations faites montrent :

  • l'intérêt

  • l'attention soutenue

  • l'investissement des enfants dans les activités proposées

  • l'accroissement de la communication entre les enfants lors des activités avec l'ordinateur.

1) Éveil cognitif

     Les programmes développés pour les jeunes enfants (de trois à six ans) couvrent actuellement des domaines variés. Les objectifs fixés pour ces programmes sont multiples :

  • reconnaissance de formes

  • reconnaissance de couleurs

  • « lecture » d'un mode d'emploi symbolique

  • association du graphisme d'une lettre, d'un mot commençant par cette lettre, et du son correspondant (par exemple : « R » ROUGE, « V » VOITURE...)

  • sensibilisation à l'écrit, qui peut se faire à la fois par une perception globale de l'écriture d'un mot (utilisation d'une souris ou d'un crayon optique) et par sa décomposition par lettre (clavier)

  • exploration de l'espace-plan

  • activités créatives : dessins (D.A.O.)

  • observation de relations

  • algorithmes

  • repérage dans l'espace

  • exercices de latéralisation, spatialisation, décentration

  • mise en oeuvre de notions sur les nombres et sur la chronologie

  • tableau à double entrée.

     L'enfant appréhende le phénomène informatique à son propre niveau cognitif, il a certes besoin de la présence bienveillante de l'adulte, mais il ne progresse que sur la base de ses propres acquis et se forge ainsi de nouveaux outils cognitifs nés de cette interaction, situation possible grâce à l'invitation de l'enseignant qui aura la charge de formaliser cette progression (prise de conscience des acquis et utilisation des nouveaux moyens).

2) Éveil méthodologique

     Les expérimentations convergent pour prouver l'intérêt manifesté par les enfants, et leur attention soutenue pendant des séances dépassant parfois une demi-heure. Cependant, il convient de souligner :

  • l'importance de créer un climat de confiance où l'enfant peut agir à sa guise et à son rythme,

  • l'importance de laisser l'enfant agir seul et de sa propre initiative : un enfant à qui l'on dicte ses actions perd rapidement l'intérêt qu'il avait pour la situation,

  • la nécessité d'une phase de tâtonnements (activité non orientée) au début de l'utilisation de chaque nouveau programme, durée pendant laquelle l'enfant prend en quelque sorte possession du programme et de son mode de fonctionnement,

  • l'importance de laisser suffisamment de temps à l'enfant pour satisfaire son besoin de manipulation pure (agir pour le simple plaisir d'agir, et non pour réaliser quelque chose).

     L'opportunité de la présence d'un adulte avec de jeunes enfants (3-4 ans), à condition de ne pas transformer cette présence en « enseignement ». En effet, livrés à eux-mêmes avec le système, nombre d'enfants ont tendance à reproduire indéfiniment la même séquence d'instructions, jusqu'à s'en dégoûter eux-mêmes et s'en désintéresser. Le rôle de l'adulte est donc de trouver le moment propice, ni trop tôt, ni trop tard, pour attirer l'attention de l'enfant sur une activité différente. À partir de cinq ans, la plupart des enfants sont fort capables de se débrouiller seuls et la présence de l'adulte peut être plus épisodique.

     L'utilisation d'une démarche de type expérimental, où l'enfant conçoit un projet, formule des hypothèses, les éprouve dans une réalisation, procède par essais et erreurs pour l'amélioration au cours d'exécutions successives, semble devoir faire progresser l'attention (durée, détail) et les facultés de mémorisation, contribuer au développement d'aptitudes à la prise de décisions, favoriser la créativité et constituer un début d'entraînement au travail indépendant.

3) Éveil social et affectif

     Contrairement aux prédictions pessimistes de certains, l'utilisation de matériel informatique n'entraîne pas nécessairement une diminution de la communication entre individus. L'objet est beaucoup plus neutre qu'on pouvait le croire, et le rôle du maître reste primordial. En effet les expérimentations concordent dans leur description de la verbalisation spontanée des enfants, à la fois pour commenter leur propre activité et pour suggérer des stratégies à leurs partenaires ; on se montre les réussites les plus marquantes, on s'aide mutuellement...

     Il est à noter la rapide autonomie acquise par les enfants face à l'utilisation de l'ordinateur, donc la possibilité effective de faire fonctionner un atelier informatique dans une classe « standard », tout ceci montre à l'évidence que la question de l'utilisation de l'informatique à l'école maternelle est à l'ordre du jour.

4) Éveil technologique

     L'étude d'objets techniques est depuis longtemps une activité importante à l'école maternelle : ces objets sont empruntés à l'environnement familier de l'enfant... et une évolution s'impose si nous voulons continuer à coller à la réalité actuelle de cet environnement.

     Bien avant leur entrée à l'école, les enfants sont confrontés à des machines apparemment complexes : l'école permet de démystifier leur fonctionnement.

     Les enfants sont familiarisés avec les différents éléments d'un ordinateur : moniteur, souris, clavier, crayon optique. Ils savent l'allumer, l'éteindre.

b - Logiciels utilisés

1 - Logiciels d'aide à l'apprentissage de la langue écrite : « ateliers d'écrit » et « composition » de Rachel Cohen

     Ces logiciels proposent aux jeunes enfants un ensemble de programmes leur permettant, dans une situation autonome d'apprentissage, de découvrir, grâce à l'ordinateur, le nouveau code de communication qu'est pour eux, la langue écrite.

2 - Disquette de l'EPI

     Quatorze programmes dans les domaines suivants : discrimination visuelle, numération, structuration de l'espace, orientation, codage, reproduction de dessins, anticipation d'action...

3 - Les 2 disquettes Maternelle MOUSSEY

     Ensemble de cinquante-six programmes dans les domaines suivants : discrimination visuelle, numération, structuration de l'espace, orientation...

4 - L'environnement et les applications ADIBOU, pour les 4-7 ans (logiciel préféré des enfants)

     ADIBOU entraîne les enfants dans son pays extraordinaire, où règnent imagination et gaieté, pour découvrir une variété d'activités d'apprentissage (blocs-notes, portraits, construction...) de découverte (horloge, palette graphique) et de jeux (puzzles, circuits, casse-briques...).

5 - Mes premiers logiciels des éditions Chrysis pour les tous petits

     Ensemble de programmes dans les domaines suivants : topologie, orientation, rythmes, identifications, différenciations et préparation à la lecture par la mise en oeuvre délibérée de certaines formes stéréotypées.

6 - Traitement de texte

     L'école produit depuis 6 ans un journal quotidien, écrit avec un traitement de texte, photocopié à 220 exemplaires qui sont distribués gratuitement à tous les enfants de l'école et aux cours préparatoires de l'école élémentaire Mathis.

c - Spécificités des activités informatiques qui ne trouvent pas d'équivalent en classe

     L'enfant approche le concept de logiciel : ouvrir des pages de menus, naviguer dans les menus, choisir son application dans un logiciel, tourner les pages génériques, choisir ses options, sa force et son niveau, utiliser des aides, sortir d'une application, sortir d'un logiciel, répondre aux questions du micro-ordinateur (donner son nom, utiliser le clavier ou la souris...), tenter de comprendre une application sinon sortir, sérier dans le temps toutes les actions nécessaires pour atteindre une application désirée.

     L'ordinateur permet des activités spécifiques à l'outil informatique : D.A.O. (dessin assisté par ordinateur) ; utilisation de bibliothèques d'images ; passage de la représentation du plan horizontal au plan vertical ; propreté des écrits produits ; organiser des actions dans l'espace (écran) et dans le temps (ordre des actions) pour atteindre chaque application : adaptation visio-motrice de la souris à l'écran (motricité fine du bras et du poignet) ; en situation d'écrit : correspondance sans équivoque de la majuscule du clavier au script de l'écran ; avec des logiciels bien conçus, l'enfant peut atteindre un grand niveau d'autonomie dans l'emploi de l'ordinateur, dans la compréhension des tâches, le repérage des routines.

     L'ordinateur propose des jeux qui n'ont pas d'équivalents : jeux de distraction (casse-briques, courses sur des chemins, courses à handicap, parcours chronométrés...), jeux d'aventure (stimuler l'imaginaire, comprendre un scénario et jouer dans l'histoire qui est proposée, situation interactive, développer l'habileté sur des écrans, avoir des surprises, du rêve, de la poésie et de l'humour), animations de dessins et de formes abstraites, labyrinthes chronométrés, kim-sons, kim-musique, kim-rythmes...

     L'école est un lieu de convention où il est normal de s'atteler à des tâches d'apprentissages spécifiques et parfois moins motivantes, l'emploi de l'ordinateur à l'école permet donc de l'utiliser à des fins plus didactiques que ne le feraient les enfants qui en ont déjà l'usage chez eux (usage plus ludique). De toute façon, la pratique est considérée par l'équipe comme une activité spécifique avec ses avantages et ses contraintes, il n'y a donc pas d'activité qui « prépare » l'informatique avant sa mise en pratique (sinon, pour certains enseignants, la familiarisation du clavier sur machine à écrire dans la classe). Il est pratiqué une mise en situation éducative sur le site même, l'activité informatique génère un système de représentation et une syntaxe qui lui est propre ; en cela, il y a nécessité d'exercer, dans un premier temps, en situation-découverte (comme pour la plupart des activités à l'école maternelle).

     Par rapport à l'écrit, l'ordinateur favorise 3 facteurs dans la prise de conscience par l'enfant de certaines caractéristiques importantes de l'écrit :

  • structuration de l'espace : sur l'écran, les lettres s'affichent de gauche à droite, ce qui permet à l'enfant de structurer l'espace et lui évite les inversions et l'écriture en miroir. Il établit une corrélation par le clavier et l'espace écran vertical ;

  • identité d'une lettre : en effet, chaque fois que l'enfant tape une lettre, il la voit s'afficher à l'écran ; la production d'une lettre est ainsi un geste moteur qui devient significatif pour l'enfant ;

  • identité d'un mot : un geste physique encore, presser la barre d'espacement permet à l'enfant de séparer les mots dans la phrase.

     Les deux dernières observations, mettant en relief cette approche kinesthésique de l'écrit, expliquent que de tout jeunes enfants, même ceux de 3 ans et demi ou 4 ans, ne confondent pas lettre et mot, deux termes qui, en toute autre circonstance, sont abstraits et difficiles à saisir.

     Dans le cas de l'écrit, il est bien difficile pour un enfant de moins de cinq ans de produire à sa guise un message lisible et compréhensible pour d'autres, en raison de sa coordination motrice encore insuffisante. La communication écrite est donc tronquée et l'acte de lecture réception de message ne peut avoir de contrepartie : l'émission d'un message.

     Un certain nombre de spécificités de l'ordinateur influent de manière positive sur l'acte d'apprentissage :

  • l'interactivité,
  • le feed back immédiat,
  • l'autocorrection.

     La qualité provisoire de l'erreur sur l'écran et la facilité de correction sans trace sont positives. Ni humiliante, ni pénalisante, l'erreur est considérés comme une étape normale dans le processus d'apprentissage. Tout élève a le droit d'essayer, de tâtonner, de se tromper et c'est à partir de ces essais qu'est établie la demande pédagogique qui lui permettra de maîtriser le point traité, d'affiner peu à peu ses connaissances. La notion d'erreur perd son aspect péjoratif.

d - Organisation de l'activité

     Huit à dix enfants maximum peuvent occuper la salle en même temps. Pour les autres enfants, il y a deux solutions : soit ils descendent par roulement, soit ils sont répartis dans différents ateliers qui se situent également au rez-de-chaussée de l'école. La présence d'au moins une tierce personne est indispensable dans tous les cas (la directrice de l'école, la bibliothécaire, un parent, etc.) :

  • B.C.D.
  • ludothèque
  • psychomotricité
  • travail sur fiches.

     La fréquence d'accès est d'environ une demi-heure par enfant et par semaine en moyenne. La salle est occupée à 80 %, soit plus d'une vingtaine d'heures hebdomadaire. Cent cinquante enfants environ sont concernés.

     Selon les activités, les enfants travaillent par deux (coopération, l'un dicte, l'autre tape ; intégration des nouveaux ; puzzle ; jeux privilégiés pour travailler à deux, compétition de voiture par exemple, etc.), ou bien seuls. Des regroupements s'opèrent spontanément. Certains circulent sur tous les postes par simple curiosité ou pour venir en aide à leurs camarades.

     Le samedi matin est laissé en libre service pour tous les enfants présents à l'école.

e - L'ordinateur peut-il être nuisible ?

     Ce n'est pas l'outil qui peut être nuisible, c'est l'emploi qu'on peut en faire. Cela dépendra bien entendu de la qualité du maître. L'ordinateur peut devenir pervers comme n'importe quel outil.

     Il est très important de faire aborder certaines notions par des voies diverses : c'est par la convergence d'expériences qu'on enrichit la notion et contribue à son élaboration intuitive : l'ordinateur est une autre expérience.

Michel Chabot
I.F.I.P. - Paris

Paru dans la  Revue de l'EPI  n° 73 de mars 1994.
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