La formation à l'informatique des enseignants à l'ENNA Paris-Nord
Bilan de huit années de pratique

René Collinot
 

     À l'heure ou les IUFM s'apprêtent à prendre le relais des ENNA chargées de la formation des professeurs de lycées professionnels de toutes disciplines et des écoles normales qui forment les instituteurs, en étendant leur action à toutes les catégories d'enseignants, il est peut-être utile de mesurer le chemin parcouru, et de proposer les quelques conclusions qu'il paraît possible d'en tirer.

I. HISTORIQUE DU DÉPARTEMENT EAO

1. Principes de fonctionnement

     Ouvert en 1982, son fonctionnement repose dès l'origine sur un double principe :

  • Accès aux machines en libre-service pour tous les professeurs – d'ENNA, du LP d'application, professeurs stagiaires, – dans la limite des disponibilités, et sous la responsabilité de l'un d'eux.

  • Organisation de stages par contrat avec les équipes de formateurs et à leur demande, les termes en étant précisés avec les professeurs en formation ;

  • Création, dans la mesure du possible, de programmes d'enseignement répondant à des demandes précises des collègues.

2. Les évolutions

     Elles tiennent à :

- l'évolution des matériels :

     Première dotation de 16 Micral 8022-G et de deux imprimantes soit deux configurations : l'une pour l'ENNA, l'autre pour le LP d'application.
Acquisition d'un Nanoréseau de 9 postes de travail et de divers matériels Thomson après le lancement du plan IPT.
Acquisition en 1988 de compatibles PC, les vieux Micral, ou ce qu'il en reste, étant réservés à l'enseignement du français (traitement de texte).

- l'évolution des logiciels :

     D'abord très peu nombreux, pauvres et inadaptés à la clientèle des lycées professionnels, à de rares exceptions près, dont la principale fut le traitement de textes TEXTE, ils se diversifient avec le plan IPT, et s'enrichissent de quelques produits « maison ».
Mais c'est surtout l'introduction du PC et de ses grands progiciels qui va bouleverser les pratiques.

- l'évolution des apprenants et de leurs besoins :

     D'abord presque uniquement composés de débutants qui attendaient une première initiation à l'utilisation pédagogique de l'ordinateur, les groupes se sont peu à peu diversifiés, avec l'introduction de l'informatique à l'université et les actions successives de formation dans les lycées.

3. Les pratiques

     Les premiers stages offerts par le département ont donc eu pour but de familiariser les participants avec l'outil informatique par :

  • la manipulation des machines ;

  • l'examen des quelques programmes disponibles, même s'ils ne relevaient pas de la discipline enseignée, car il s'agissait d'ouvrir des perspectives et de susciter une demande et des réalisations ;

  • l'apprentissage d'un langage, LSE ou BASIC, d'abord de façon systématique, puis le plus souvent possible en partant d'un projet pédagogique même très modeste.

     Les formules horaires les plus variées ont été expérimentées à la demande des groupes : semaine « bloquée », journées ou demi-journées diversement réparties sur plusieurs semaines, cours de deux heures hebdomadaires.

     À partir de 1985-1986, des modules d'une semaine sont proposés autour de 6 grands axes :

  • Initiation ;

  • Utilisation des didacticiels ;

  • Utilitaires et progiciels ;

  • Graphique ;

  • Programmation en BASIC, le LSE ayant été abandonné sous la pression des stagiaires et des professeurs déjà initiés au langage le plus répandu ;

  • Conception de didacticiels.

     En 1988-1989, la mise en service d'un ensemble important de PC et l'acquisition des grands progiciels classiques, coïncidant avec la plus grande diversification des groupes, ont conduit paradoxalement un trop grand nombre de ces derniers à choisir des parcours très semblables, où l'on s'efforçait de voir l'ensemble du panorama (auquel s'était ajoutée une initiation au MS-DOS), sans pouvoir approfondir aucun aspect.

     C'est pour rectifier cette pratique et donner à chaque stagiaire une compétence ou lui permettre d'exercer ou d'approfondir celles qu'il pouvait avoir déjà acquises, que de nouvelles formules ont été proposées cette année.

II. L'ANNÉE EN COURS

1. Organisation

     À la rentrée de septembre 1989, deux heures d'information et de sensibilisation ont été offertes en amphi à tous les stagiaires :

  • un film vidéo réalisé avec le concours du département audio-visuel de l'ENNA leur a montré les grands axes de l'utilisation de l'ordinateur avec les élèves ;

  • une présentation « en direct » sur grand écran des principaux types de progiciels qui seraient mis à leur disposition (WORKS pour son traitement de texte, son tableur et son grapheur, dBASE) et de PAINT BRUSH devait les convaincre de l'intérêt que présente l'ordinateur comme instrument de travail personnel pour l'enseignant ;

  • un document leur présentant les 12 « modules » de 12 heures qui leur étaient proposés, leur a été remis et commenté : chaque groupe choisirait deux modules, et les options minoritaires pourraient être satisfaites chaque fois que des places libres se présenteraient dans des groupes qui les auraient choisies ;

  • les modules proposés étaient :

    • Initiation (avec WORKS), pour les grands débutants,

    • Nanoréseau (matériel et programmes d'enseignement),

    • WORKS,

    • WORD,

    • MULTIPLAN,

    • dBASE III+,

    • Dessin (à l'exclusion des grands logiciels de DAO, qui relèvent de l'enseignement professionnel),

    • Création d'exercices à l'aide de langages auteurs ou d'utilitaires,

    • MS-DOS,

    • TURBO-BASIC niveau 1,

    • TURBO-BASIC niveau 2,

    • Conception de didacticiels.

     Bien entendu, le choix de chacun de ces modules (sauf 01, 02 et 09), supposait l'ébauche préalable, avec l'aide de l'équipe pédagogique responsable, d'un projet à réaliser en cours de stage.

     Cette première prise de contact nous a permis, pour la première fois, de connaître dès le 2 octobre les dates et les contenus des stages... et de nous apercevoir que, faute de moyens humains (deux formateurs pour plus de 600 stagiaires) et matériels (un nanoréseau et dix PC, avec il est vrai la possibilité d'intervenir dans plusieurs ateliers convenablement équipés (dessin, maintenance, électrotechnique, productique et industries du bois...) il ne nous serait pas possible d'accorder plus d'une vingtaine d'heures à chaque groupe, à quelques exceptions près dans un sens (11 h pour certains !) et dans l'autre (jusqu'à 28 h, voire probablement 40 heures).

2. Les choix des formateurs...

2.1. Ils répondaient à différents contraintes

- Nécessité de recevoir des professeurs stagiaires déjà organisés en « divisions » en fonction de leurs disciplines respectives.

- Hétérogénéité croissante de ces groupes, et nécessité d'éviter un sentiment de « déjà vu » à des collègues ayant déjà bénéficié de formations diverses, parfois approfondies, souvent sans lendemain, en informatique.

- Demandes de nos collègues techniciens portant unanimement sur une connaissance aussi poussée que possible de MS-DOS et des logiciels de bureautique (les logiciels professionnels ne relevant évidemment pas de notre compétence).

- Durée globale très insuffisante de la formation à l'ENNA : 36 semaines, dont il faut retirer environ 15 semaines de stages divers (en entreprise, en lycée, ainsi que la semaine de stage audio-visuel... et celle d'EAO).

2.2. Ils obéissaient également à des considérations diverses

stratégiques : mettre l'accent sur les « outils du professeur » nous paraît indispensable, parce que l'utilisation des machines avec les élèves ne peut être tentée que par des maîtres suffisamment à l'aise avec les ordinateurs ; cela suppose soit une pratique antérieure à la formation (elle sera de plus en plus courante dans quelques années, mais l'ordinateur inspire encore à nombre d'enseignants, à la sortie de leurs établissements ou de l'université, une certaine appréhension), soit une utilisation quasi quotidienne des ordinateurs pendant le stage à l'ENNA ; une telle pratique se développe dans les enseignements technologiques (comment y échapper ?), mais est loin d'être la règle dans la plupart des enseignements généraux, où l'informatique apparaît encore à beaucoup de formateurs comme un gadget ou, dans le meilleur des cas, comme une technologie utile mais non indispensable : or il faut parer au plus pressé...

pédagogiques : dans la mesure où les logiciels de bureautique peuvent être l'objet de fructueux détournements à des fins d'enseignement.

pratiques : le choix de TURBO-BASIC comme langage de programmation est uniquement motivé par le désir de programmer dans un langage structuré et d'exécution rapide, et de tirer profit des pré-acquis en BASIC très fréquents chez nos stagiaires, mais il est vrai que QUICK-BASIC aurait aussi bien répondu à ce besoin.

     D'autre part l'on s'étonnera sans doute de voir un « département EAO » ne faire apparemment aucune place aux didacticiels : c'est que cette dénomination a été choisie pour marquer l'orientation pédagogique de nos activités, à une époque ou le sens de cette expression était moins précis qu'il n'est devenu ; et puis ils seront parfois abordés, au moins avec les « généralistes » (en particulier avec le nanoréseau, en langues, en géographie et peut-être en sciences) ; dans d'autres cas (dessin), c'est avec les professeurs de spécialité qu'ils seront abordés, ce qui est sans doute la meilleure solution. Mais il nous faut bien constater qu'en dehors de ces matières, ils n'ont rencontré aucun succès auprès des professeurs d'ENNA et des maîtres d'application : ce qui est en cause, c'est l'absence d'une structure de soutien des élèves du LP, qui seule pourrait permettre leur emploi.

3. ...et les choix des stagiaires

     La demande apparaît désormais très forte et pressante chez les techniciens, pour lesquels il a fallu multiplier au premier trimestre des modules « Initiation / MS-DOS » (que nous n'avions pas prévus) et « Initiation / WORKS », les autres progiciels se partageant à peu près également leurs faveurs pour le reste de l'année.

     WORD et WORKS paraissent avoir la faveur des littéraires, moins pressés de faire leur stage, à de notables exceptions près, dues à la présence dans l'équipe des professeurs d'un « convaincu », voire d'un spécialiste de certaines applications (traitement de texte en particulier) ou dans celle des stagiaires... d'un formateur en informatique, qui prend en charge une partie de la formation de ses collègues !

     Seuls à ce jour, des groupes de scientifiques et quelques isolés ont demandé la création d'exercices ou le dessin.

     Quant au nanoréseau, il ne sera guère fréquenté cette année par les stagiaires, à l'exception des linguistes, dessinateurs et géographes : à cause en partie de produits « maison » en anglais, allemand et dessin industriel (le LAO du CNDP), et de CARTAX pour les derniers.

     Enfin, la programmation en TURBO-BASIC n'intéresserait guère plus d'une douzaine de stagiaires dispersés (soit 2%), pour lesquels un regroupement sera tenté, et seul un littéraire souhaiterait consacrer son « mémoire » à la conception d'un programme (sur une idée de l'OULIPO concernant le récit) : une aide individuelle lui sera apportée.

     Notons pour terminer que les places « disponibles » offertes à ceux qui ont choisi une option minoritaire dans leur groupe n'ont fait l'objet, fin octobre, que d'une seule demande. Il peut s'agir d'une mauvaise communication, mais des raisons structurelles, tenant à l'organisation même de la formation, sont vraisemblablement en cause.

III. CONCLUSIONS PROPOSÉES

     Les technologies et les logiciels évoluent si vite en informatique qu'il serait ridicule, au terme d'une mission déjà longue, de rédiger un testament. Pourtant, je souhaiterais faire part à tous ceux que concerne l'organisation des I.U.F.M. de quelques suggestions.

1. Les pré-acquis des enseignants recrutés

     L'ordinateur doit être un instrument familier avant que ne commence la formation pédagogique, c'est-à-dire au plus tard dès les années de licence ; en effet l'IUFM doit être un lieu de formation au métier d'enseignant, et une formation initiale à la didactique des disciplines, forcément limitée dans le temps, ne peut porter tous ses fruits que si elle s'appuie sur certains pré-acquis : aux compétences minimales dans les disciplines enseignées, il faut ajouter un minimum de culture générale, dont l'informatique fait désormais partie.

2. Les futurs enseignants doivent être au moins capables, à la fin de la formation initiale

  • d'élaborer des documents pour le travail de la classe avec l'aide d'outils informatiques appropriés ;

  • de lancer, de s'approprier et d'évaluer n'importe quel logiciel d'enseignement ou professionnel dans la discipline et au niveau qui les concerne, et sur les matériels courants ;

  • d'intégrer les logiciels de leur choix (progiciels, tutoriels, didacticiels) dans leur pratique pédagogique.

3. La programmation et la conception de didacticiels

devraient être, en formation initiale, offertes comme options, de même que des formations poussées en audio-visuel (prise de son et d'images, montage...)

4. Les I.U.F.M. devraient réunir certaines conditions pour atteindre ces objectifs

4.1. S'appuyer sur des établissements d'application et des lieux de stages qui auront les moyens et la volonté d'organiser un soutien des élèves, notamment au moyen de l'informatique (en attendant cet équipement en ordinateurs individuels accessibles à tous (?) que nous promet M. Hebenstreit).

4.2. Offrir un minimum de quarante heures de stage informatique à chacun, sur l'ensemble de sa formation initiale.

4.3. Intégrer l'outil informatique à la pratique courante des formés, en dehors même de ces stages.

     Bien entendu, au vu des besoins, et compte tenu de l'évolution des matériels, des logiciels et, espérons-le, des pratiques pédagogiques, la formation initiale la mieux faite doit être prolongée par la formation permanente.

René Collinot
Professeur à l'ENNA Paris-Nord
Département EAO

PS. Depuis la rédaction de cet article, il est nécessaire de préciser que :

- la demande s'est fortement accrue, de la part des formateurs et des stagiaires : plusieurs « divisions », de techniciens et de littéraires, avoisinent ou dépassent les 40 heures de stage « EAO », aucun stage ne devant durer moins de 17 heures effectives ;

- divers produits d'enseignement sont bien accueillis par nos jeunes professeurs : LIRA, ROMAN, TGV-TEXTE en Lettres ainsi que certains logiciels d'Allemand et d'Anglais de chez Nathan ; et un programme de « GUIDANCE », produit maison qui, après réécriture en TURBO-BASIC, pourrait être diffusé par le Centre de Ressources de l'ENNA à partir de l'an prochain : petit système-auteur entièrement conversationnel, il permet de créer des dialogues illustrés, et s'adresse aux généralistes comme aux techniciens.

Paru dans le Bulletin de l'EPI  n° 57 de mars 1990.
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