Manifeste de l'Association
Enseignement Public et Informatique

Pour un développement pertinent et efficace de l'informatique dans l'enseignement
 

     La finalité et les orientations fondamentales de l'E.P.I. exprimées en 1971 et solennellement affirmées dans le premier manifeste n'ont pas changé. Mais dépassant toute prévision, l'informatique progresse partout, créant un terrain particulièrement exposé aux entreprises les moins désintéressées et où fleurissent curieusement une foule d'opinions irrationnelles.

     L'évolution des matériels, une accélération de l'équipement dans l'Éducation nationale, le plan Informatique Pour Tous, ont donné une autre dimension à l'informatique pour l'enseignement qui se diversifie et s'étend plus rapidement aux lycées d'enseignement professionnel, aux collÈges et surtout aux écoles. Il en résulte un changement de perspective, aussi ce manifeste définit-il un cadrage nouveau pour les activités de l'E.P.I.

L'INFORMATIQUE FACTEUR DE QUALITÉ DE L'ENSEIGNEMENT

     Refusant tout dogmatisme, l'E.P.I. ne pratique aucune exclusive a l'encontre de quelque usage de l'ordinateur que ce soit. Pour avoir pleine liberté pédagogique l'enseignant doit pouvoir disposer de toute la panoplie des outils informatiques.

     L'informatique est instrument d'enseignement dans toute la scolarité et dans tous les domaines de connaissances. Elle permet d'améliorer les formes les plus courantes d'enseignement (exercices, contrôles, renforcements), d'en susciter de nouvelles, de faciliter l'individualisation, la pédagogie différenciée, de stimuler la créativité, d'apporter une aide précieuse pour surmonter les handicaps.

     Des expériences originales ont aussi montré l'intérêt de l'informatique comme auxiliaire de pensée, levier de transformation de l'enseignement mettant en cause des méthodes traditionnelles, associant maîtres et élèves dans des activités de recherche, d'organisation, de créations didactiques. L'école devient ainsi foyer d'innovations pédagogiques.

     L'informatique est élément culturel pour tous les élèves. Elle appartient à l'environnement quotidien de chacun. Nul ne peut ignorer la manipulation des ordinateurs, leur rôle dans les activités humaines, l'usage des logiciels, leur influence sur les modes de travail et les démarches de pensée. Ce domaine scolaire nouveau est a découvrir progressivement et à consolider par étapes tout au long de la scolarité. Il concerne non seulement l'étude des aspects sociaux de l'informatique mais aussi l'approche technologique et scientifique des systèmes informatiques, de leurs concepts de base, la découverte des méthodes, de la programmation. Ainsi l'informatique en établissant un pont entre la culture générale classique et la culture technique favorise la naissance d'une nouvelle culture.

     L'informatique est objet d'enseignement dans les enseignements techniques et supérieurs pour la formation des indispensables spécialistes comme pour celle des professionnels amenés à en faire une utilisation systématique.

     Pour les autres, son enseignement sous forme d'option contribue à la déségrégation disciplinaire comme à une orientation positive vers les filières techniques et l'informatique des enseignements supérieurs. Telle qu'elle est définie et suivie par le Comité Scientifique National, l'option informatique des lycées peut s'étendre aux L.E.P. et aux collèges.

     Ces différents aspects sont complémentaires ; les opposer nuit gravement à la cohérence d'ensemble de l'enseignement. Au centre de tous les moyens de communication, l'informatique gérant bientôt sur les mêmes supports l'écrit, l'oral, le son et l'image sera, notamment grâce à la télématique et l'audiovisuel moderne, instrument de décloisonnement ; il serait désastreux qu'elle devienne un instrument de ségrégation. Les discontinuées, les ruptures entre école. collège et lycée, ainsi qu'à l'intérieur de chaque niveau d'enseignement compromettent les progrès permis par la rapidité des évolutions techniques.

PRIORITÉ À LA FORMATION INFORMATIQUE DES MAÎTRES INSÉPARABLE DE LA RECHERCHE PÉDAGOGIQUE

     L'informatique dans l'enseignement c'est d'abord l'affaire des enseignants. Seule une formation de qualité peut leur donner la maîtrise indispensable qui ne saurait être réduite à une formation technique ou centrée sur la consommation voire la réalisation de logiciels. Elle doit faire place a tous les aspects évoqués ci-dessus en privilégiant toujours les situations pédagogiques. Cela nécessitée beaucoup de recherches et d'expérimentations.

     Formation et recherche sont inséparables. Leur organisation doit être souple et diversifiée. Les relations, les échanges, la diffusion publique des résultats de la recherche et des contenus de formation doivent être largement développés pour réduire les risques de confidentialité, les antagonismes stériles, les gaspillages d'efforts.

     Fondée sur le volontariat, la formation permanente doit constituer un droit reconnu à tous, être très largement diversifiée dans sa durée, ses modalités, ses contenus et n'être pas organisée systématiquement hors du temps de service. Quelques dizaines d'heures n'apportent qu'une première approche de l'informatique pédagogique et justifient des demandes complémentaires. A côté de la formation approfondie qui doit être poursuivie une place importante devrait être faite aux formations d'une durée globale de plusieurs mois appropriées à la découverte de domaines particuliers, à des approfondissements, à la préparation de l'enseignement de l'option... Satisfaire des besoins qui vont croître très vite du fait des équipements comme de l'évolution technique rapide risque de devenir vite insupportable si l'informatique n'entre pas d'urgence dans la formation initiale de tous les enseignants. Il serait illusoire de vouloir attribuer aujourd'hui à ceux-ci un « minimum d'informatique » commun mais les difficultés de mise en place ne sont pas sensiblement différentes de celles de la formation permanente ; elles doivent pouvoir être surmontées de la même façon.

     Les centres de formation universitaires sont aussi conjointement des lieux de ressources, de recherches. d'expérimentations. Ils rassemblent des personnels de différents ordres d'enseignement permettant la complémentarité et l'échange des compétences techniques et des préoccupations pédagogiques en liaison avec le terrain.

NÉCESSITÉ DE MOYENS APPROPRIÉS AUX BESOINS

     L'absence de prise en compte des besoins pédagogiques par les constructeurs d'ordinateurs, l'indigence de l'ergonomie scolaire ont provoqué beaucoup de mécomptes et un fantastique gaspillage.

     Les matériels : si l'on ne peut que souhaiter la réduction des incompatibilités entre unités centrales, périphériques, moyens de communication... et une normalisation la plus étendue possible, l'exigence minimale n'est-elle pas que chaque constructeur assure la compatibilité de tous ses matériels, leur maniabilité, leur fiabilité ?

     Le matériel le plus récent, le plus sophistiqué n'est pas toujours nécessaire mais le plus rudimentaire n'est jamais opportun y compris et surtout pour les plus jeunes enfants.

     Il serait inepte de vouloir s'en remettre à un seul type de matériel mais le pari de la diversité ne doit pas aller sans cahiers des charges précis connus et respectés. L'amélioration peut venir de systèmes bénéficiant d'un riche environnement avec moyens audiovisuels, télématiques, mise en réseau local de tous les équipements de chaque site, passerelles vers les réseaux extérieurs. Le saupoudrage de machines isolées est a proscrire.

     La maintenance est un problème aigu même pour les machines « grand public ». L'expérience passée conduit à penser que l'Éducation nationale gagnerait à prendre elle-même en charge au moins une partie des travaux de maintenance.

     Les logiciels : étant donnée l'évolution des systèmes d'exploitation, des langages de programmation, des langages d'auteur, des « logiciels-outils »... et malgré la crainte du babélisme, I'E.P.I. considère que préconiser un seul système et un seul langage n'aurait pas de sens. Mais refuser toute exclusive c'est aussi profiter des moyens qui ont permis tant de réalisations pédagogiques comme LOGO et L.S.E.

     Pour la fourniture des logiciels et dans le souci de qualité, l'Éducation nationale doit faire jouer la concurrence et conserver une production et une diffusion spécifiques afin que des domaines importants pour les progrès pédagogiques ne soient pas délaissés faute d'intérêt commercial immédiat.

     L'« animation » ne saurait être sacrifiée car les moyens par eux-mêmes ne garantissent ni quantitativement, ni qualitativement leur utilisation. Des animateurs s'imposent à tous les échelons et localement pour chaque site. Ils disposeront de moyens particuliers pour l'encadrement, l'organisation des activités, les informations, les conseils, la maintenance, l'« ouverture » sur l'extérieur... sinon beaucoup d'utilisations resteront pauvres, sporadiques et aléatoires.

     Quels que soient leur activité principale (formation, recherche, documentation...) et leur rattachement administratif (académique, départemental...) des centres de ressources bien équipés en personnel et en matériel sont indispensables.

     Aujourd'hui rien ne permet d'assurer que l'accès à l'ordinateur pour chaque élève contribue à la démocratisation de l'enseignement. Dans l'actuelle organisation le risque d'une informatique inégalitaire n'est pas écarté. Beaucoup reste à inventer dans les espaces défavorisés, la scolarité obligatoire, les enseignements professionnels et sans doute à l'école maternelle. Depuis plusieurs années des efforts importants ont été faits les enseignants y ont pris une part décisive comme l'a encore bien montré leur participation au plan Informatique Pour Tous.

     Rien ne prouve que l'introduction de l'informatique dans l'enseignement soit d'elle-même un progrès décisif ; entreprise sans discernement, elle pourrait avoir des conséquences néfastes.

     Les progrès techniques et le développement rapide appellent des recherches, des expérimentations, des confrontations nombreuses. Des besoins nouveaux sont ainsi créés. Dans un proche avenir les domaines privilégiés devraient être ceux de la formation et de la recherche.

     Au-delà, quelles que soient les possibilités futures actuellement imprévisibles, toute perspective de progrès implique des choix clairement énoncés pour éliminer les incohérences génératrices de gaspillages. Cela suppose la mise en place, à côté des décideurs, d'organismes permanents de réflexion, d'incitation, de proposition, de coordination. Concertation préalable, transparence des procédures et publication des décisions sont les garanties élémentaires de bonne administration et de démocratie sans lesquelles il ne saurait y avoir de réussite du déploiement de l'informatique dans l'enseignement.

Novembre 1985

Paru dans le  Bulletin de l'EPI  n° 40 de décembre 1985
et dans la  Revue de l'EPI  n° 104 de décembre 2001.
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