Culture Libre
Le FCForum (fcforum.net/), forum pour l'accès à la culture et au savoir, une organisation informelle qui réunit personnes, collectifs et institutions espagnoles et internationales impliquées dans la défense et la consolidation de la culture libre, vient de publier son Manual de uso para la creatividad sostenible [1], un manuel, qui ne se veut ni une étude ni un rapport, mais bel et bien un manuel pour que tous les citoyens – terme à l'intérieur duquel se résolvent toutes les identités – s'en saisissent et s'en servent pour leur pratique de création et comme revendication politique. Dans la mouvance de cette nouvelle forme contestataire de proposition [2], il cherche à montrer l'immense richesse sociale, culturelle et économique que la culture libre génère et qu'il existe d'autres modèles viables de production et de diffusion pour la création que celui que défendent les industries fondé sur l'exploitation des formes les plus restrictives de la propriété intellectuelle. L'objet du texte est la culture libre, une culture qui utilise des dispositifs technologiques et légaux qui permettent le partage et la réutilisation. À l'heure de l'apogée du discours marketing des réseaux sociaux, de la créativité, de l'innovation et de la participation, il est important de le souligner et, de souligner à son tour, que l'activation véritable de ces concepts – qui naissent avant le discours du Web 2.0. –, s'opère dans le cadre de la culture libre et du Commun et nulle part ailleurs. Une culture du partage ne peut de toutes façons se passer des instruments actuels de la culture libre et de ceux qui viendront. La culture libre est la culture d'aujourd'hui. Fort de ce principe implicite, rappelant que la culture n'est pas nécessairement un bien économique mais mettant à la fois à jour de multiples et non exhaustives possibilités de rémunération pour la création libre, le manuel prouve que la criminalisation du partage de la culture est un choix idéologique qui cherche à défendre les intérêts des anciens acteurs de la culture de masse centralisée. L'intérêt de ce texte nuancé et documenté réside donc surtout dans le cadre nouveau qu'il trace de l'économie culturelle remettant tout autant en cause les intérêts des groupes industriels comme les systèmes de subventions publiques qui consolident des relations de production, distribution et consommation qui ne correspondent plus à notre époque et fabriquent des produits culturels anachroniques. L'accusation est de taille et solide : maintenir les règles anciennes est d'une part voué à l'échec et est d'autre part le meilleur chemin pour tuer la créativité du monde numérique et l'innovation. S'attachant à différents secteurs de création – musique, cinéma, écriture et édition, mode, logiciel libre –, la première partie du manuel dresse un état des lieux et montre comment les technologies de partage telles que le peer to peer, les blogs..., loin d'être des ennemis de la création, sont les outils de cette nouvelle économie. C'est pourquoi une infrastructure libre et ouverte apparaît comme un point fondamental pour la soutenabilité des projets de création. La deuxième partie est consacrée aux nouvelles sources de financement de la créativité. Dix principes de base de cette nouvelle économie sont posés afin d'appeler à la reconnaissance de la logique numérique de la production culturelle et de son intégration au sein d'une nouvelle économie de la création. Viennent ensuite les divers modes de financement possibles de la création : payer un prix raisonnable, payer pour un service en sus, publicité, investissement privé, freemium, contributions, crowdfunding, financement public (dont les modalités seraient modifiées et adaptées à la culture libre et aux exigences de transparence que le Commun comme mode de gestion implique), rémunération directe des créateurs, système de financement collectif, limitation du pouvoir des sociétés de gestion, revenu universel. Ce manuel rend donc visible ces possibilités et ainsi contredit structurellement le positionnement de l'industrie et des gouvernements qui affirment que le maintien et le respect du droit d'auteur en son état et la lutte acharnée contre la « piraterie » sont les seules solutions valides pour la survie des créateurs et de leurs oeuvres, relie le consommateur et le producteur en reconnaissant, plus que des liens étroits, une identité circulante et diffuse entre les deux termes largement répandue et en augmentation qui devrait se résoudre dans la figure d'un citoyen en action, montre que la culture libre et le commun sont les cadres idéaux de la logique numérique de production si l'espace numérique se maintient tel qu'il est, et finalement aide directement les créateurs et les nouveaux intermédiaires de la création en proposant des solutions économiques viables. Frédérique Muscinési Cette note est sous licence Creative Commons - Paternité - Partage à l'Identique. NOTES [1] How-To for Sustainable Creativity (anglais) : http://fcforum.net/sustainable-models-for-creativity/how-to-manual [2] Contrairement aux revendications de type syndicale qui jouissent d'une grande puissance de résistance mais d'une capacité de proposition extrêmement faible, les mouvements de revendication des multitudes non représentatifs sont extrêmement créatifs et fondent leur pratique de la contestation sur la conceptualisation et la formulation d'alternatives. Elles ont l'intérêt, en plus d'être des ré-appropriations d'un pouvoir de création et de transformation non représentatif, de démonter les discours technocratiques et administratifs avancés par les gouvernements pour justifier leur réformes en faisant apparaître sans fard leurs tenants idéologiques. ___________________ |
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