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Les sciences cognitives

Jean-Gabriel Ganascia, 2006, éd. Poche-Le Pommier, 186 pages, 7 €.

   Les sciences cognitives tentent d'offrir une clé d'accès à la compréhension de l'ensemble des phénomènes psychiques et physiologiques et il faut reconnaître que cette approche recueille, depuis plus d'un quart de siècle, de nombreux suffrages.

   Après un rappel historique passant par la grandeur et la décadence de la défunte cybernétique, l'auteur en arrive très vite (page 53) à « l'âge de raison », comprenez celui de l'intelligence artificielle. L'IA se proposant de simuler le raisonnement (l'âme intellective d'Aristote) et déplaçant son centre de gravité en direction de l'étude du psychisme.

   La rupture avec les premiers âges de la cybernétique est claire, on passe d'une simulation de mécanismes biologiques d'auto-organisation à une simulation de phénomènes d'ordre psychologique. On s'intéresse au mental. On progresse dans la complexité avec des machines qui permettent des traitements symboliques.

   De plus, l'IA ne ramène pas la cognition à un modèle unique, elle propose des approches multiples destinées à explorer les différentes facettes de l'intelligence, à les modéliser et à les simuler à l'aide d'ordinateurs de plus en plus puissants. Les problèmes auxquels s'attaque l'IA (la traduction automatique par exemple) dépassent et de loin les approches des mathématiciens, logiciens et autres informaticiens. Il est indispensable de recourir également, et cela dès les années 70, aux spécialistes des sciences du langage et aux psychologues.

   Parallèlement, la neurophysiologie avec notamment les différentes techniques d'investigation du cerveau (électro et magnétoencéphalographie, TEP, IRM) fait des progrès considérables. Une nouvelle cybernétique renaît, utilisant la simulation et la robotique. Toutefois, il apparaît qu'on ne saurait ramener les pensées, les passions, les émotions, le savoir, la culture au seul champ de la physiologie. La connaissance prend une part grandissante dans la vie sociale sans que l'on puisse la réduire à des phénomènes d'ordre biologique. L'IA a de beaux jours devant elle !

   Ainsi, il faut attendre la deuxième partie de l'ouvrage (page 95) pour entrer véritablement dans le vif du sujet. Le traitement des connaissances par l'ordinateur entraîne une modification de notre entendement c'est à dire de notre propre capacité de connaître. L'IA laisse aux biologistes et autres psychologues le problème quasi insoluble du fonctionnement intime du cerveau humain pour se consacrer au couplage entre la machine et l'intelligence humaine. « On ne se soucie plus vraiment d'une objectivation de la cognition ; c'est une image en miroir de la cognition de celui qui observe que l'on cherche à construire » (page 97).

   Et là, la connaissance (qui est, d'un côté, ce qui se rapporte aux machines et à leurs comportements assimilés à ceux des sujets conscients et, d'un autre côté, les programmes qui animent ces machines) occupe une position centrale. Ce sont les systèmes experts, l'ingénierie des connaissances, les différentes représentations des connaissances (logique, sémantique...), pour aboutir à une certaine théorisation de la connaissance qui devenait indispensable dès la fin des années 70 sous peine d'éclatement de l'IA ; et qui l'est encore plus depuis l'avènement d'internet.

   L'IA s'intéresse plus récemment à une autre approche de la cognition qui met l'accent sur la conception d'outils d'accès à la connaissance et sur l'accroissement de nos intelligences, « Les sciences cognitives pensent l'esprit de l'homme qui pense à l'aide de machines que l'homme a pensées... » Vous suivez ?

   Mais, de l'avis même de l'auteur, quelque ressemblance superficielle que l'on observe entre le raisonnement de la machine et celui de l'homme on ne sait si la différence profonde pourra un jour être réduite, « Les masses énormes de connaissances accumulées par la science contemporaine ne parviennent pas à combler l'abîme d'ignorance ». Que faire des « états mentaux », dont on n'a même pas le début d'un contenu physiologique tangible, dans une théorisation crédible ?

   Faut-il pour autant baisser les bras ? Évidemment non. Les apports notamment de la neurobiologie contemporaine sont importants même si la somme d'opérations physiologiques élémentaires ne nous dit rien sur le fonctionnement global de notre cerveau,

   Si tout dans l'esprit est information, tout n'y est certainement pas réductible à un codage unique comme dans l'ordinateur, car tout est fluctuant et sans cesse en train de se transformer. La science cognitive actuelle doit s'attaquer résolument aux différents degrés de complexité desquels émergent à chaque palier des propriétés nouvelles.

   Cet ouvrage expose dans un langage clair accessible à tous, les conceptions, les buts et les tendances des sciences cognitives actuelles. Il nous semble pourtant que l'auteur n'arrive pas toujours à définir clairement le domaine des sciences cognitives qui apparaissent – vu le nombre de pages consacrées à la neurobiologie – comme largement dominées par les neurosciences. Mais peut être est-ce dû à notre filtre de lecture ?

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Association EPI
Février 2007

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