NOUS AVONS LU
 

De la fracture numérique...

Terminal 95-96, Printemps 2006, éd. L'Harmattan, 266 pages, 23,50 €.

LE MYTHE SALVATEUR. 1re partie

   Du mythe de l'internet salvateur, salvateur de la croissance avec la « nouvelle économie », puis de la démocratie avec la « démocratie numérique », nous voilà aux prises avec une vision parfois mythifiée de la fracture elle-même. Réduire la fracture numérique, de la même façon qu'il y a dix ans le discours politique mettait en point de mire la réduction de la fracture sociale, suppose d'identifier cette ou ces fractures et de ne pas mythifier les politiques publiques en matière de technologie.

   Luc Vodoz et Mark Reinhard (« TIC et intégration sociale ») proposent de visiter un certain nombre de fausses évidences en matière de fracture, notamment à propos de sa dimension territoriale. Contrairement à ce que visent nombre de politiques d'accessibilité, ce n'est pas à la campagne que se trouve l'essentiel des exclus. Bien sûr, cet état de fait est à porter au crédit des politiques d'infrastructure. Mais aujourd'hui, les exclus sont ceux des villes, pauvres, chômeurs, illettrés pour lesquels l'accès n'est pas tant une question technique qu'une question plus dérangeante socialement.

   Cette thématique de l'Informatique salvatrice n'est certes pas nouvelle. C'est ce que montre Abdelfettah Benchenna (« Réduire la fracture numérique Nord-Sud ») à partir de l'analyse du cas d'une organisation intergouvernementale, le Bureau intergouvernemental pour l'Informatique (IBI). L'histoire de cet organisme préoccupé de développement permet de comprendre comment les croyances peuvent parfois se traduire dans des actes qui n'ont pas nécessairement les effets attendus...

   Nicolas Péjout (« L'hypercapitalisme dans les pays du Sud »), quant à lui, aborde la fracture non pas du point de vue des usages (l'infrastructure est alors vue comme le moyen pour faire utiliser Internet, voire "consommer" du service en ligne) mais de celui de la production de contenus, de logiciels ...

   Enfin, de retour en France (« La nécessaire ingénierie sociale au-delà de la réduction de la fracture numérique »), on retrouve une même thématique d'accès en termes sociaux, culturels ou de formation dans l'analyse des Espaces publics numériques que propose Michel Arnaud.

LA FRACTURE AU SENS PHYSIQUE DU TERME. 2e partie

   Dans cette deuxième partie, plusieurs auteurs examinent les inégalités d'accès aux infrastructures (« Internet aujourd'hui : les enjeux d'une relocalisation. Un point de vue africain » par Annie Chéneau-Loquay) et aux contenus (« La propriété intellectuelle aggrave-t-elle les fractures numériques » par Fabrice Rochelandet).

   L'article de Blandine Ripert (« Expérience indienne des fractures numériques ») traite de l'accès aux services et contenus dans un pays en voie de développement. Thomas Guignard (« Le Sénégal et Internet ») montre le danger de contenus locaux peu adaptés aux résidents du pays et d'une extraversion totale d'Internet.

LA FRACTURE NUMÉRIQUE AU SENS SOCIAL DU TERME. 3e partie

   La fracture numérique est aussi et peut-être avant tout un phénomène transversal au monde contemporain. Au-delà des disparités géographiques, aussi bien entre pays riches et pays pauvres, entre zones plus ou moins dotées en Infrastructures, la fracture numérique concerne ici la capacité des citoyens à s'emparer des techniques numériques et à se les approprier dans le contexte social réel qui est le leur. II y a là une véritable dialectique entre deux aspects de contextualisation des individus, celui lié à leur culture technique et celui relatif au lien social. Gérard Vendramin et Patricia Valenduc s'interrogent sur la durabilité de la fracture en opposant deux visions alternatives. La première considère la question sous l'angle d'un phénomène de diffusion qui ne pourrait atteindre que progressivement l'ensemble de la population. A contrario, la seconde renvoie à la consolidation d'une nouvelle forme d'exclusion qui viendrait au contraire renforcer les inégalités sociales et approfondir le fossé entre nantis et laissés-pour-compte des technologies numériques.

   Ainsi, Alain Rallet et Fabrice Lequeux introduisent une opposition entre population technophile et population non technophile et montrent que le modèle même de l'internet est fortement excluant, du fait de la dynamique soutenue d'innovation dont il est l'objet et tend donc à pérenniser ce type de discrimination. Les auteurs s'interrogent alors sur l'ambiguïté d'un modèle de gratuité d'accès aux services, qui favoriserait paradoxalement la partie de la population technophile la mieux armée pour tirer parti des ressources accessibles sur la toile.

   Par-delà l'opposition, entre deux visions optimistes ou pessimistes d'Internet, Olivier Glassey et Barbara Pfister-Giauque étudient la relation entre lien social et usage des TIC. Eux aussi montrent l'importance que prennent ici les questions d'appropriation, mais insistent sur la nécessité d'en dépasser la seule dimension technique pour prendre en compte également et, parfois simultanément, celles de lien social et de territoire. Ce sont donc aussi les modalités de socialisation (et de territorialisation) qui conditionnent la capacité à faire usage des technologies numériques en matière de relations sociales.

   Ces réflexions éclairent de manière intéressante la présentation de Mokrane Refaa qui concerne enfin le développement des cybercafés dans la région de Biskra en Algérie. Les cybercafés constituent le moyen de connexion à Internet le plus utilisé du Maghreb. Cette contribution constitue une analyse des utilisateurs et de leurs motivations, ainsi que de la distribution spatiale des « Cfés » et des motivations et problèmes rencontrés par leurs propriétaires.

   Une lecture passionnante et décapante que nous vous conseillons.

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Association EPI
Septembre 2006

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