Cet article est paru dans la revue Éducation et informatique n° 3 septembre-octobre 1980. Cette revue pédagogique des éditions Nathan était exclusivement consacrée à l'EAO . Elle avait comme rédacteur en chef Wladimir Mercouroff et comme rédacteur en chef adjoint Christian Lafond.


AVANTAGES (INCONVÉNIENTS ?) PÉDAGOGIQUES DE LA SIMULATION SUR ORDINATEUR
(dossier)

Présentation du dossier par Jacques Hebenstreit

 
MODÉLISATION ET SIMULATION

     Placé dans une situation où il faut prendre une décision, un individu, consciemment ou non, imagine un certain nombre d'actions possibles, fait appel à la représentation qu'il possède de la situation (le modèle) et procède à des simulations, c'est-à-dire cherche à imaginer les conséquences des diverses actions possibles. Ces simulations achevées, il exécute, parmi les différentes actions possibles, celle dont les conséquences (obtenues par simulation) lui paraissant les plus favorables quant au but qu'il s'est fixé. Naturellement, il arrive que le résultat de l'action entreprise soit plus ou moins différent de ce qui est attendu. Cela signifie soit que le modèle que possède l'individu est plus ou moins incorrect, c'est-à-dire ne traduit pas bien la réalité, soit encore qu'une erreur a été commise dans la simulation, c'est-à-dire dans la suite de raisonnements utilisés, appliqués au modèle pour en déduire les conséquences de l'action. Dans les deux cas, l'écart constaté entre les prévisions et la réalité permettra de corriger soit le modèle, soit les méthodes de simulation.

     C'est le mécanisme que décrit le Professeur Monod lorsqu'il dit qu'« il (l'animal) enrichit, raffine et diversifie les programmes innés en y incluant des expériences » et c'est ce même mécanisme que recouvre l'expression « on s'instruit par ses erreurs ».

     Il est, dès lors, clair que tout un chacun fait des modèles et de la simulation un peu comme M. Jourdain faisait de la prose, mais il est non moins clair que les types de modèles et de simulation utilisés sont, dans l'ensemble, assez flous (on les appelle encore parfois des « modèles verbaux ») et difficilement formalisables.

Modèles et simulations en sciences expérimentales

     Le terme de modèle, au sens où on l'entend aujourd'hui dans les sciences expérimentales, est d'un usage relativement récent bien que le concept soit aussi ancien qu'elles. En effet, pour étudier un phénomène, on commence par faire des expériences en vue d'accumuler un certain nombre d'observations. À partir de ces observations, on cherche à imaginer un « mécanisme », « un modèle » qui « explique » le phénomène, c'est-à-dire qui permette de répondre à une ou plusieurs des trois questions suivantes, dans l'ordre de difficulté croissante : combien ? comment ? pourquoi ? (voir : Les modèles du système solaire).

     Un modèle ayant été « imaginé », il faut le « valider », c'est-à-dire vérifier par une « simulation » que d'une part on retrouve bien, par le modèle, les résultats des observations dont on est parti pour l'imaginer, et que d'autre part le modèle permet de prédire le résultat d'expériences non encore faites (rôle « prédictif » du modèle). Enfin, tout nouveau résultat expérimental qui ne peut être prévu ou expliqué par le modèle conduit à modifier celui-ci.

     On voit ainsi que les démarches de modélisation et de simulation sont indissolublement liées mais, alors que la modélisation est toujours, par définition, une démarche purement intellectuelle du type inductif (recherche d'une cause générale d'un ensemble fini d'observations), la simulation peut prendre des formes très différentes .

     Jusqu'à une époque récente, seuls les modèles mathématiques étaient considérés comme de « vrais » modèles et il ne venait à l'esprit de personne d'appeler « simulation » la recherche des solutions d'un ensemble d'équations qui constituaient le modèle.

     L'avènement des ordinateurs a contribué à donner un sens concret à la notion de modèle puisqu'on peut « mettre un modèle sur ordinateur », le traitement du modèle par l'ordinateur devenant, par définition, une simulation.

Modélisation et Simulation dans l'enseignement

     La simulation sur ordinateur comme outil pédagogique est d'utilisation récente. Qu'elle vise à familiariser l'élève avec un modèle complexe en lui permettant d'étudier les conséquences de ce modèle dans toutes sortes de conditions, ou qu'elle soit du type « découverte guidée » où l'élève doit proposer un modèle explicatif à partir des expériences faites en simulation, dans tous les cas elle cherche à développer chez l'élève une meilleure compréhension des sciences expérimentales en le familiarisant avec les modes de pensée qui caractérisent ces disciplines.

     L'expérience a montré que des logiciels de simulation bien conçus stimulent chez les élèves une véritable attitude créatrice et il n'est donc pas surprenant de constater que les didacticiels récents sont de plus en plus orientés vers ce type d'activité (projet CONDUIT de l'Université d'Iowa, projet PCDP de l'Université de Californie à Irvine, projet SIMULATE du Chelsea College de Londres, etc.).

     Il reste que la simulation n'est en aucun cas destinée à remplacer les travaux pratiques mais bien plutôt à les compléter. Un modèle est, en effet, toujours une image simplifiée de la réalité et c'est d'ailleurs ce qui fait sa force, mais il en résulte qu'une bonne utilisation de la simulation requiert une bonne connaissance des limites de validité du modèle, sous peine d'aboutir à des absurdités. C'est la raison pour laquelle l'enseignant a un rôle déterminant à jouer pendant les séances de simulation. Il doit, avant la séance, expliquer aux élèves ce que l'on attend d'eux, c'est-à-dire les objectifs de la séance, puis il doit surveiller ce que font les élèves en attirant, si nécessaire, l'attention de certains d'entre eux sur les erreurs éventuelles de méthodologie qu'ils sont en train de commettre dans leur manière d'expérimenter, etc. Enfin, après la séance, une réunion du groupe d'élèves s'est avérée extrêmement bénéfique car elle permet aux élèves de comparer et de discuter les divers modèles qu'ils ont imaginés, et à l'enseignant de tirer les conclusions générales sur les possibilités et les limites de la démarche modélisante et de la simulation.

     L'avènement de l'ordinateur permet aujourd'hui, non seulement d'utiliser la simulation comme un outil de la recherche scientifique, mais encore de la présenter aux élèves comme une méthode concrète d'investigation dans les sciences expérimentales, et non plus comme un sujet de réflexion philosophique.

     Cependant, l'utilisation pédagogique de la simulation présente un certain nombre de difficultés :

  • difficulté de conception des logiciels de simulation qui doivent être formulés non en termes de savoir-faire, mais en termes de démarches intellectuelles que le programme doit susciter chez l'élève ;

  • difficulté d'utilisation : ce nouvel outil pédagogique n'est vraiment efficace que s'il est utilisé par une personne compétente, au bon moment, au bon endroit et de la bonne manière.

Jacques Hebenstreit

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