À QUI PROFITE LE SPAM ?

Daniel Kaplan
 

     Entre la publicité non sollicitée (le spam) et l'effet de traîne - d'une durée sans précédent à notre connaissance - du virus Netsky apparu début 2004, le taux de pollution des échanges électroniques n'a jamais atteint un tel niveau. Pour certains utilisateurs, dont l'auteur de ces lignes fait partie, près des trois-quarts des courriels reçus sont aujourd'hui des nuisances.

     Chacun dans notre coin, nous parvenons à survivre. Les anti-virus et les tueurs de spam s'améliorent et nous faisons plus attention à les mettre à jour ; nous gérons autrement notre courriel et notre liste d'interlocuteurs ; nous ne publions plus aussi facilement notre adresse ; nous acceptons de nos employeurs des restrictions nouvelles.

     Si nous savons à peu près minimiser le coût individuel des nuisances, le coût social, lui, est considérable. Une partie de ce coût peut se mesurer de manière comptable : temps perdu à faire le tri (4 milliards de dollars pour les seuls États-Unis), coûts en matériels, logiciels, services et personnel employés à lutter contre ces fléaux (environ autant). Mais le dommage le plus grave que nous causent ces pollutions est ailleurs : dans une perte de confiance globale envers le courriel et les autres moyens de communication attaqués, forums, newsgroups, messagerie instantanée, blogs ; dans une moindre spontanéité, une fluidité réduite des échanges (mais qui est donc cette personne qui veut m'écrire ?) Autrement dit, le moteur principal de l'internet, l'échange, est attaqué au coeur.

     Face à cette réelle catastrophe, l'inaction collective (plus ou moins masquée par une masse de conférences, rapports et groupes de travail) laisse songeur. Les législations évoluent à un rythme d'escargot et quand elles existent, les spammeurs (en France et aux États-Unis par exemple...) ne sont pour ainsi dire jamais inquiétés. Certains défauts parfaitement connus des logiciels de courriel (l'accès au carnet d'adresses, la gestion des en-têtes...) ne sont jamais corrigés. Un grand nombre de fournisseurs d'accès continue de vendre antivirus et antispam comme des services optionnels (et par conséquent assez peu utilisés).

     Avec de tels ennemis, le spam n'a pas besoin d'amis !

     Comment comprendre une telle différence entre la rhétorique et les actes ? Et l'on se prend à se demander si la motivation des grands acteurs publics et privés est bien aussi forte qu'ils le prétendent ; si, au fond, cette histoire d'échanges libres et à peu près gratuits sur l'internet ne leur a pas toujours paru un peu louche, improductive, anti-économique.

     Bref, sans une pression déterminée des utilisateurs eux-mêmes, auxquels il manque encore de comprendre que leur problème est collectif et non individuel, nous avons peu de chances de voir un jour décroître le volume de virus et de spams.

Daniel Kaplan

Éditorial d'Internet Actu nouvelle génération n° 26, du 7 avril 2004.
Internet Actu nouvelle génération est une lettre d'information électronique hebdomadaire sur les technologies, les services et les usages des nouvelles technologies de l'information et de la communication coéditée par l'Association pour la Fondation Internet nouvelle génération (Fing, http://www.fing.org) et l'Institut de l'information scientifique et technique (Inist, http://www.inist.fr) et réalisée par la Fing. Les informations publiées par cette lettre sont sous une licence Creative Commons (http://creativecommons.org/licenses/by-nc/1.0/).

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Avril 2004

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