BLAISE, UN SITE WEB D'ÉCOLE
COMME MOTIVATION À LA PRODUCTION D'ÉCRIT
 

http://perso.wanadoo.fr/..ecolelaiz

Jean-Michel CHOPLIN

 

POURQUOI ?

Le 14 janvier 2000 a été une date historique dont l'importance vous a peut-être échappé. Ce jour a vu la naissance de BLAISE, le site Web de l'école de Laiz, une petite commune de 1 000 habitants, située dans l'Ain.

Nouvel arrivant dans l'école, l'équipe en place m'a demandé d'être le moteur d'un point essentiel du projet d'école jumelé avec un Contrat Éducatif Local (CEL) : créer et animer un site d'école. Mes collègues s'appuyaient sur une expérience que j'ai acquise en co-créant et animant pendant deux ans le premier site d'école de l'Ain : St Laurent sur Web, le site de l'école de St Laurent sur Saône (accessible sur www2.ac-lyon.fr, rubrique "sites d'établissements").

Gérer et animer un site web d'école demande un énorme investissement en temps. Le maître qui se lance dans une telle aventure doit s'attendre à passer de nombreuses soirées devant son écran d'ordinateur, à mettre en forme le travail de ses élèves, à rechercher des sites-ressources, à régler tous les problèmes techniques qui ne manquent pas d'apparaître dans le fonctionnement du site.

À moins d'être un passionné absolu de l'informatique (ce que nous sommes tous un peu !), il faut donc trouver un très grand intérêt pédagogique à cette activité pour se lancer dans ces dizaines d'heures de travail supplémentaire.

Pour ma part, j'en vois plusieurs.

Le premier, et sans doute le plus important pour moi, est la formidable motivation à écrire que cela a déclenché chez mes élèves. Certes, l'idée d'écrire pour être lu, n'a rien de nouveau, les journaux scolaires de la pédagogie Freinet ont depuis longtemps ouvert la voie. Mais le journal scolaire, même réalisé en PAO, souffre d'un inconvénient majeur : les lecteurs sont connus des enfants, on sait bien que les journaux sont vendus ou distribués dans une sphère familiale ou amicale et que les grands parents riront des blagues Carambar et pardonneront les fautes de français pour peu que le petit dernier ait signé la page. L'enfant, dans ce cas ajuste ses exigences de producteur d'écrit à l'indulgence de son lectorat.

Mises sur le Web, les pages seront lues "par le monde entier" ; a priori, dans l'esprit des enfants, inconnu et presque hostile, en tout cas prêt à ne rien pardonner. Il s'agit donc de n'offrir aucune occasion de critique et les enfants s'investissent à fond dans le projet, reprenant souvent de très nombreuses fois leurs textes, devenant pour eux-mêmes et pour leurs condisciples des critiques avisés et intransigeants. Romain, un de mes élèves résumait très bien la perception des enfants : "Tout le monde peut nous lire ? (silence...) Eh, bien on n'a pas intérêt d'être des charlots !"

Le deuxième, est que ce projet de classe induit des relations maître élèves bien différentes des relations traditionnelles. Il y a un partage des tâches net : les élèves produisent de l'écrit, font une maquette, papier ou informatique, de la page telle qu'ils la veulent, en tenant compte d'une charte graphique définie par avance. Le maître, puisque le rôle de l'école n'est pas de former des techniciens du Web, réalise les pages en HTML et soumet son travail au groupe classe, qui le critique, l'accepte ou le refuse. Partenaires à niveau égal d'un même projet, le maître et l'élève développent ainsi des relations de travail non hiérarchiques.

Le troisième est d'ordre plus philosophique. Nos enfants, et futurs adultes, apprennent à se servir de l'internet, à y trouver de l'information. Il faut qu'ils apprennent aussi qu'on y trouve n'importe quoi et qu'ils aient toujours, et encore plus qu'ailleurs, un esprit critique. En les faisant acteurs du Web, je souhaite qu'ils se souviennent plus tard que n'importe quoi peut être mis en ligne. Aucun contrôle n'existe sur le contenu de ces millions de pages, on en connaît les dérives de toutes sortes, visant par exemple à détourner l'histoire. Face à ce nouvel outil d'information, il faut être un citoyen vigilant ne sacrifiant pas la forme au fond. C'est en étant l'un des acteurs qu'on peut y arriver.

COMMENT ?

Concrètement, l'écriture de textes commence toujours par un travail, très classique, d'études de textes de même nature que celui qu'on a projet d'écrire. Ainsi, pour écrire "Thibou et les champignons du malheur", conte interactif, nous avons commencé par lire des contes, par les trier, par en dégager les constantes et les caractéristiques. Nous avons étudié l'imparfait et le passé simple en activités décrochées de français puisqu'il s'était avéré que nous en aurions besoin.

Ensuite, après nous être exercés à écrire de petits contes et à les avoir analysés à l'aide d'une grille de relecture, nous nous sommes attaqués au "vrai" conte. Les personnages et la trame de l'intrigue ont été définis en commun, puis chaque élève a pris en charge une partie du conte, correspondant à une page web. Un très gros travail de critique, de relecture, de réécriture, d'harmonisation a été nécessaire pour donner une forme acceptable au conte. Chacun a dû apprendre à écouter les autres, à argumenter, à accepter les critiques et à en tenir compte. Il a fallu mettre en place et utiliser des outils d'auto-correction, d'auto-évaluation.

Nous avons ensuite utilisé le Web comme ressource, pour rechercher les illustrations du conte : moteurs de recherche, apprentissage de la navigation et du "clic-droit... enregistrer sous...", et découverte : "c'est presque tout le temps en anglais, sur l'internet".

Les enfants ont ensuite réalisé la maquette des pages sous Publisher. Nous avons ensuite une dernière fois joué le conte au tableau et réglé les derniers détails.

J'ai ensuite passé quelques ( ! ) soirées à mettre tout ce travail en forme avec le logiciel Web-Expert avant de présenter mon travail au groupe. J'ai presque eu les félicitations du jury enfantin, n'ayant eu que deux pages à refaire !

Thibou et les autres productions ont été mises en ligne le 14 janvier 2000. Ce fut un grand moment, l'aboutissement de la première partie d'un projet coopératif. Déjà, la classe de neige de février ouvrait un nouveau chantier, et le projet Soleil, soleils, et puis et puis... Les stylos ne sont pas prêts d'être au repos à Laiz.

Pour terminer, je voudrais vous demander, au nom de tous les enfants "producteurs de Web", de laisser un message d'encouragement ou de critique lorsque vous visitez un site d'école. Signaler une faute oubliée, une erreur ou montrer que vous avez apprécié telle ou telle astuce de mise en page nous montre l'humanité de nos lecteurs mondiaux et l'intérêt qu'ils nous portent et relance fortement la motivation. Les visiteurs ne sont plus seulement des chiffres sur le compteur, ils sont des êtres humains qu'il ne faut pas décevoir, et c'est pour cela que nous travaillons...

Soyons clairs : si la motivation d'écrire des enfants disparaissait, si l'animation du site devenait un pensum, j'abandonnerais BLAISE sans remords. Le site n'est pour moi qu'un outil pédagogique, en aucun cas une finalité. Motiver pour provoquer l'écrit chez les enfants, oui, être sur le Web par snobisme branché, sûrement pas.

Jean-Michel CHOPLIN

jean-michel.choplin@ac-lyon.fr

Paru dans la Revue de l'EPI n° 98 de Juin 2000.

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(6 septembre 2000)