INTÉGRATION DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION AU SEIN DES ÉCOLES SECONDAIRES
Le rôle des "personnes ressources"
Quelques constats

Charles DUCHÂTEAU, Étienne VANDEPUT

 

INTRODUCTION

Depuis plus d'une année, un plan d'équipement et de connexion des écoles de Wallonie et de Bruxelles est en cours. On en trouvera une description détaillée à l'adresse http://cyberecoles.wallonie.be/. Ce plan, le premier en Belgique francophone depuis l'invention de l'ordinateur, dote les écoles secondaires d'un "Centre Cybermédia" constitué de 2 salles "pool" comprenant chacune un serveur et 8 postes individuels, 2 salles "Internet" comprenant un écran TV et un décodeur Internet, une salle multimédia avec un poste de travail, un projecteur multimédia et un équipement de visioconférence et enfin une salle de "documentation" pour les enseignants avec 2 postes de travail, un scanner et une imprimante couleur. Il est prévu une maintenance centralisée "à distance" de ces équipements et tout le volet portant sur la sécurité du matériel a fait l'objet d'une grande attention.

Il est trop tôt pour faire le point sur ce plan et ses retombées et ce n'est pas l'objet de la présente contribution, mais pour faire court (et forcément un peu caricatural), on peut dire :

  • au niveau de l'équipement matériel, le plan est globalement bien pensé, même si la maintenance "à distance" projetée doit encore faire ses preuves et si elle limite la liberté et les initiatives locales ;
  • le plan a exigé des écoles à la fois un effort dans l'aménagement des locaux destinés à recevoir ce matériel mais également dans la conception d'un projet d'intégration pédagogique ;
  • dans ce contexte, chaque école a dû, entre autre, désigner en son sein deux "personnes ressources" chargées d'accompagner le projet d'équipement et d'utilisation, tant dans ses aspects techniques que dans sa facette plus pédagogique ;
  • rien n'a été prévu en ce qui concerne le statut de ces personnes : aucun moyen supplémentaire spécifique n'a été dégagé, ni pour la formation des enseignants, ni pour donner aux "personnes ressources" les moyens d'action indispensables ou simplement du temps pour jouer le rôle qu'on attend d'elles.

Voici donc, avec ce projet d'équipement et de connexion, les écoles aux prises avec le problème de décider ce qu'elles vont faire de ce cadeau : comment valoriser au mieux ce matériel tombé "d'en haut" ? comment exploiter, dans une perspective pédagogique, les possibilités des "outils" de traitement et de communication d'information qui l'accompagnent ?

Cela fait plus de 20 ans que le débat est ouvert à propos de l'intégration de ce qu'on n'appelait pas encore les "technologies de l'information et de la communication" (TIC) au sein de l'école et des pratiques des enseignants. Tout (ou presque) a donc déjà été dit ou écrit sur le sujet ; Internet et le multimédia, derniers avatars largement médiatisés de ces "technologies nouvelles", ne modifient pas en profondeur les problèmes liés à la prise en compte de ces innovations au sein des établissements scolaires.

Ces quelques réflexions n'ont dès lors aucune prétention de nouveauté : elles sont là seulement pour rendre attentifs les responsables et, plus largement, les membres de la communauté éducative, à quelques écueils et pour faciliter des usages créatifs et réfléchis de ces technologies au sein d'une organisation de l'école qui les permette et les assume.

REMERCIEMENTS

Nous voudrions remercier très chaleureusement les écoles, qui en nous accueillant en leur sein, nous ont permis de recueillir les informations qui fondent la présente contribution : leurs directions d'abord, qui ont accepté de jouer le jeu de la formation des enseignants et ont mis en place une organisation qui la permette ; tous les enseignants qui ont bien voulu participer à ces formations ensuite ; et enfin, les personnes ressources qui, sans compter leurs heures et sans ménager leur enthousiasme, ont constitué le cœur de ce projet.

Sans elles et sans eux, ce rapport n'existerait pas.

QUELQUES IDÉES SIMPLES SUR LES TIC

Qu'on aime ou qu'on le regrette et même si des termes comme "Internet" ou "multimédia" contribuent à le dissimuler, c'est bien dans l'informatique et dans les environnements qu'elle a produits qu'il faut chercher les racines de toutes ces applications regroupées sous le vocable "TIC". Et ce qu'il faut maîtriser, navigant sur le WEB ou explorant un CD-ROM, c'est bien un ordinateur et le cortège des logiciels qui l'accompagnent.

Il est évidemment impossible de faire le tour d'une réalité tellement complexe et multiforme, qui, de plus, a modifié à ce point la vie professionnelle de tant d'entre nous et est en train de bouleverser notre culture. Nous nous limiterons donc à en dépeindre quelques traits : ceux qu'il est important de connaître et qui vont colorer toutes les utilisations, fussent-elles pédagogiques, des environnements informatisés. (Cf. [Arsac, 1987], [Duchâteau, 1993]).

L'informatique, c'est l'inFORMEatique

Ce qui est au cœur de l'informatique, chacun le sait, c'est le traitement de l'information. Ce que nous appelons, entre êtres humains, de l'information ce sont "des choses" (des dessins, du texte, des sons, des odeurs,...) que, au travers des "canaux" que constituent nos sens, nous percevons et qui nous apportent des connaissances, auxquelles nous donnons sens. Pour nous cependant, la forme de ces informations est indissociable du sens que nous avons appris à leur accorder. Nous sommes d'excellents "traiteurs d'informations" pour autant que ces informations aient pour nous du sens. En lisant le présent texte, vous ne faites rien d'autre que de donner sens à ce qui ne sont que des signes sur une feuille de papier : vous seriez par exemple capable de résumer ou de synthétiser ce texte, d'en dégager les idées essentielles.

L'informatique, si elle est science du traitement de l'information, n'agit que sur la forme de ces informations. L'ordinateur est aussi un excellent "traiteur d'information" à condition qu'il s'agisse seulement des aspects formels de ces informations. L'ordinateur, équipé des logiciels adéquats, peut aisément peindre en vert toutes les parties rouges d'un dessin, il peut aisément me donner la liste d'un ensemble de textes contenant le mot "crocodile" et dont le mot "alligator" soit absent. Tout comme il est capable de donner tous les textes contenant "aazzza" et dont "abcabc" soit absent. Bref, ce que nous avons devant nous, c'est une machine à traiter l'information, de manière formaliste. Et c'est une démarche constante dans l'utilisation des ordinateurs que de tenter d'enfermer les traitements que nous effectuons sur base du sens, dans des indications seulement redevables de la forme.

L'écueil redoutable, si on se laisse entraîner par l'ordinateur, c'est que ces traitements de forme, fascinants et séduisants, nous enferment dans des univers où la forme est prépondérante. Pour le dire plus brutalement : qu'importe ce que cela apporte (et pour un être humain, cet apport est le plus souvent - émotions esthétiques mises à part - du domaine du sens et du contenu) pourvu que "ça bouge et en plus c'est en couleur."

Des TIC aux TeTIN

Si l'ordinateur est un outil à traiter la forme des informations, encore faut-il pouvoir lui faire "digérer" ces multiples informations. Et quoi qu'on puisse en dire, l'ordinateur reste (et restera) bêtement un calculateur, tout juste bon à manipuler (rapidement) des (énormes quantités de) nombres. Le problème est dès lors fort simple : quelle que soit la forme prise par ce que les humains appellent une information, nous pourrons la fournir à l'ordinateur si nous avons un moyen de transformer, de coder cette information sous la forme d'une série (finie) de nombres (entiers). Qu'il s'agisse de texte, de dessins, de musique,... tout est traitable à condition de pouvoir être numérisé (= transformé en nombres) ou, pour sacrifier à l'anglais, digitalisé.

Il y a plusieurs corollaires à cette nécessité et à cette emprise du "numérique" :

  • d'abord, même si cette connaissance ne change pas grand chose aux problèmes pédagogiques d'intégration des environnements informatisés, il faut savoir que pour l'ordinateur, "tout est nombre" ; l'ordinateur reste à jamais, qu'il soit en train de disposer du texte en gras ou de tracer un histogramme, un calculateur ;
  • ce codage "en nombres" est heureusement le plus souvent complètement automatisé : c'est là le rôle des périphériques d'entrée : un clavier transforme l'appui sur des touches en nombres, un scanner fait de même avec un dessin. Il existe heureusement des périphériques de sortie qui assurent le décodage : un écran (et la carte qui le commande) transforme les nombres conservés au sein de l'ordinateur en dessins ou en textes, une imprimante transforme ces nombres en traces sur du papier ;
  • nous entrons dans une civilisation du numérique (ou du digital) : l'ordinateur en est à la fois l'instrument et le motif. Dores et déjà, la télévision, le téléphone... deviennent "numériques" : il est bon d'avoir compris comment et pourquoi.

Ce qui fait l'unité de cet univers (qu'il s'agisse du multimédia, d'Internet ou du traitement de texte), c'est que tous les outils proposés à l'utilisateur permettent les Traitements d'Informations Numérisées : les Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) sont en fait des Technologies de Traitement de l'Information Numérisée : les TIC sont des TeTIN !

Le multimédia, au cœur des TIC : du papier et des bouts de ficelle

Parler de multimédia, c'est reconnaître qu'une fois numérisée, toute information peut être manipulée par un système informatique, à condition, bien entendu de disposer des indications qui permettront à l'ordinateur de traiter ces diverses informations numérisées, ce qu'on appelle les programmes ou les logiciels.

Un système informatique peut donc garder, par exemple au sein de ses disques durs, toute information numérisée (son, image, texte...). Notons au passage que sous cette forme numérisée, l'information peut aisément être communiquée à d'autres ordinateurs et que, entre ordinateurs, les opérations de codage et décodage (indispensables pour que l'être humain reconnaisse dans ces fatras de nombres les informations sous leurs aspects habituels) sont inutiles. Ce qui circule sur les "autoroutes de l'information" et ce que portent les CD-ROM, ce sont des nombres, codant des informations de toutes natures.

C'est ici qu'intervient une autre métaphore permettant d'exploiter ces multitudes d'informations numérisées (portées par les supports classiques que sont CD-ROM et disques durs) et à travers laquelle l'être humain va pouvoir réintroduire sens et structure.

Nous connaissons tous la structure linéaire d'un texte, comme celui d'un manuel (même si au sein d'un texte habituel, les renvois et les notes de bas de page obligent déjà à un parcours de lecture qui ne soit plus purement séquentiel).

Vous pouvez vous armer d'une paire de ciseaux, de bouts de ficelle et d'un pot de colle, pour transformer votre livre en une multitude de fragments portant des portions de texte, des images, des tableaux et surtout où certains mots ou passages du texte sont mis en évidence : de ces passages partent des ficelles dont l'autre extrémité est collée sur d'autres portions de texte, d'où peuvent à leur tour partir d'autres bouts de ficelles...

Vous venez de réaliser votre premier document hypertexte (et même hypermédia, pour peu que certains des morceaux portent dessins, schémas ou tableaux). On devine cependant que, sous cette forme, la lecture risque bien d'en être malaisée. Le texte est devenu un amoncellement de "fiches" liées entre elles par des bouts de ficelle : parcourir le document c'est prendre connaissance de ces "morceaux" et déplier les ficelles qui vont conduire à d'autres "morceaux" dont repartent d'autres ficelles.

L'informatique rend réalisables ces découpages et collages de bouts de ficelle : les morceaux sont chaque fois des paquets d'informations numérisées (on peut même avoir des morceaux "son" ou "vidéo") et les ficelles sont devenues virtuelles, même si leur rôle consiste à passer d'un morceau à un autre. Un document hypermédia, ce sont des entités d'informations numérisées connectées entre elles par des liens virtuels, mais parfaitement utilisables pour passer d'un "morceau" à un autre.

C'est cela qu'on trouve sur les CD-ROM. La métaphore a en tous cas le mérite de faire percevoir la difficulté pour l'auteur d'organiser les matériaux à présenter (quelles fiches ? portant quoi ? avec quels liens vers quelles autres fiches ?). Elle révèle également la difficulté du lecteur, tenu de naviguer d'une fiche à l'autre, butinant un bout de texte ici, une image là, une séquence vidéo ailleurs, le long de ficelles virtuelles.

Un des rôles de l'auteur de texte "classique" n'était-il pas de faciliter la démarche de ses lecteurs en proposant un parcours séquentiel obligé ? Quand des lecteurs divers auront parcouru un hypertexte, auront-ils tous lu le même texte ? Ces questions et bien d'autres, on s'en doute, sont au cœur de ces nouveaux univers rendus possibles par les TeTIN.

Internet : beaucoup de papiers et de longues ficelles

Au-delà des aspects techniques (réseau télématique, protocoles particuliers) et des images fascinantes et souvent fausses (autoroutes de l'information), Internet, c'est tout bêtement un seul document hypermédia à l'échelle planétaire : les fiches (qu'on appelle ici pages WEB) sont réparties sur les disques durs de centaines de milliers d'ordinateurs et des millions de bouts de ficelle virtuels (hyperliens) sont tendus entre ces fiches. Internet c'est en quelque sorte un CD-ROM géant, portant des millions de portions de texte, des millions d'images... liées entre elles par des millions de liens.

La seule différence avec un vrai CD-ROM installé sur mon ordinateur, porteur d'informations que cet ordinateur me montre en une fraction de seconde, c'est le temps qui sera nécessaire pour que mon système se saisisse à travers le réseau (physique celui-là) de la fiche (page WEB) à laquelle mène l'un des liens que j'active afin, en décodant cette fiche lointaine porteuse d'information, que mon écran me montre Madona et que ma carte son me fasse entendre sa voix...

On est peut-être un peu loin du problème de la valorisation et de l'intégration du matériel offert aux écoles. Pourtant, ce sont bien ces traits essentiels que les "Centres Cybermédia" vont montrer à tous les enseignants et à tous les élèves qui les utiliseront. Quelques contraintes et possibilités portées par la technologie devaient être décrites. Nous faisons toute confiance aux penseurs de la pédagogie pour disséquer les utilisations et les applications des TeTIN, la méconnaissance de ces dernières ne constituant d'ailleurs pas un obstacle à leurs discours. Nous affirmons simplement ici que, lorsqu'il est question de technologie et de pédagogie, l'idéal est de porter un œil critique et aussi averti que possible sur les DEUX partenaires du couple concerné.

Les TeTIN ne vont pas révolutionner l'école ; l'apport de matériel, même s'il faut le saluer, est bien insuffisant pour que l'usage des ordinateurs se banalise au sein des établissements scolaires. On a montré par ailleurs [Duchâteau, 1996a] que, compte tenu de l'organisation actuelle des écoles et étant donné les représentations tenaces à propos du métier d'enseignant, les nouvelles technologies ne peuvent que fort difficilement s'intégrer aux activités scolaires.

Ce que nous voudrions cependant évoquer à présent, c'est un certain nombre de paramètres auxquels il faut rester attentif, pour que l'opération d'équipement et de connexion des écoles se passe "au mieux" en soulignant la nécessité et le rôle des "personnes ressources".

Quelques problèmes posés par l'intégration des TIC au sein des écoles

On peut rattacher les problèmes à trois pôles essentiels : un pôle technique (matériel, réseau, logiciel...), un pôle pédagogique (intégration, animation, projets...) et un pôle organisationnel (accessibilité du matériel, horaires, personnes ressources...).

La vraie difficulté, c'est que ces divers pôles doivent être appréhendés simultanément. C'est seulement pour permettre une approche structurée qu'ils sont ici disjoints : dans la réalité, toujours plus complexe que les discours qui tentent d'en rendre compte, c'est ensemble et globalement qu'il faut aborder les problèmes techniques, pédagogiques et d'organisation.

Le pôle technique

Les problèmes posés par le matériel et sa maintenance

Nous avons à maintes reprises souligné les problèmes nombreux et récurrents posés par l'utilisation des environnements informatisés (cf. [Duchâteau, 1994a]). On est fort souvent très loin des portraits idylliques dépeints dans les médias. En gros et pour faire court, les technologies ne tiennent pas toujours leurs promesses et "ça marche souvent moins bien que prévu."

Les équipements annoncés dans le cadre du projet de la région wallonne prétendent échapper à cette règle, en prévoyant une maintenance à distance, au prix, il est vrai, de certaines restrictions dans la gestion locale et dans les aménagements permis. Acceptons l'augure d'un système "0 panne, 0 maintenance", mais tenons-nous prêts cependant à devoir affronter un certain nombre de problèmes liés à l'évolution des configurations souhaitées.

De toute manière, dans beaucoup d'écoles, du matériel existe déjà, qu'il faudra faire coexister avec les nouveaux environnements. Jusqu'à présent, dans beaucoup de cas, au delà de la réception du matériel, le problème de la configuration et de la stabilisation de ce dernier pour qu'il puisse jouer le rôle attendu n'est pas abordé sérieusement :

  • bricolage (y compris par les personnes ressources ne possédant pas les compétences techniques nécessaires) ;
  • installation par le vendeur mais sans concertation véritable avec les personnes ressources et les usagers potentiels ;
  • installation et maintenance par un "technicien" interne à l'école, mais soit non disponible, soit non réceptif aux demandes (informaticien "fou").

Ces problèmes sont inséparables des technologies elles-mêmes et de leur degré de complexité. Les seules amorces de solutions consistent à disposer d'un support technique proche et disponible, mais cela c'est plus vite dit que réellement mis en œuvre !

La nécessité pour tous de connaissances technologiques minimales

Même quand "ça marche" les environnements informatisés sont des univers complexes et tous les discours sur leur "convivialité" ou qui les présentent comme de simples "outils" (comme le marteau ou le tournevis) sont trompeurs et mensongers.

Et si l'on souhaite que les enseignants et les élèves soient, non des consommateurs passifs d'Internet et des CD-ROM, mais des usagers actifs et créateurs, les environnements à maîtriser sont bien plus larges que la navigation sur le WEB ou le courrier électronique.

C'est ici qu'on voit réapparaître la nécessité de maîtriser un certain nombre d'aspects relatifs aux traitements des informations numérisées (texte, image, tableaux...). Explorer Internet sans s'être approprié les "outils" qui vont permettre de traiter les informations recueillies, c'est un peu comme consulter une bibliothèque, sans crayon et sans papier...

Une alphabétisation, qui mette en avant les usages, sans s'enfermer dans les modes d'emploi des logiciels, est donc indispensable. Les demandes des enseignants en terme de formation aux TIC sont énormes : elles sont liées, non seulement à l'apport de nouveau matériel, mais aussi au fait qu'un pourcentage croissant d'entre eux dispose de matériel à domicile et que la découverte en autodidacte de ces univers a ses limites.

Le pôle pédagogique

On devine ici tout le potentiel des usages raisonnés et créatifs des technologies (cf. [CEE, 1995], [CIP, 1996], [ERTI, 1995]. C'est aussi sans doute ces possibilités qui ont donné lieu à un maximum de discours pour un minimum de réalisations concrètes.

Ici encore plus qu'ailleurs, il ne faut pas commettre l'erreur d'isoler les problèmes d'usage "pédagogique" des TIC, des préoccupations techniques et organisationnelles. Nous ne reviendrons pas sur les considérations relatives aux changements de rôles et d'attitudes attendus des enseignants utilisateurs des environnements informatisés, au sein de leurs classes. Nous ne reviendrons pas sur les usages possibles des technologies et sur le retentissement de ces usages sur les relations professeurs-élèves et sur les relations des enseignants entre eux. Nous nous contenterons de pointer quatre éléments, de natures différentes, mais qui nous semblent essentiels.

L'usage des TIC est indissociable de la notion de projet

Internet, le courrier électronique, et tout le reste des "outils" ne sont évidemment pas des buts en eux-mêmes. La question "qu'est-ce qu'on peut faire de pédagogique avec Internet ?", n'a pas plus de sens que "qu'est-ce qu'on peut faire de pédagogique avec une bibliothèque ?".

Les usages pertinents des technologies plongent toujours leurs racines ailleurs que dans les technologies elles-mêmes et tous ces "outils", on les utilise tout bêtement lorsque l'on en a besoin ! Et ce besoin résulte toujours d'un projet, grand ou petit, dont l'accomplissement va se trouver facilité par l'un ou l'autre des "outils" proposés par les TIC.

Il faut cependant rappeler que la décision d'utiliser pour mener à bien un projet tel ou tel "outil" postule évidemment une connaissance convenable des limites et des possibilités de ces mêmes "outils". Il est impossible de décider qu'un outil sera utile si on ignore l'existence même de ce dernier. Dans le monde des technologies, il est malheureusement beaucoup d'utilisateurs qui continuent à tenter d'enfoncer des clous avec un tournevis, simplement parce qu'ils ignorent qu'il existe des marteaux.

Enfin, la méthodologie du projet ne peut pas devenir un fourre-tout occupationnel où, sous prétexte qu'il s'agit d'activités menées par les élèves, l'enseignant peut se permettre un flou obscur et vaporeux tant dans les objectifs assignés que dans les modalités à mettre en œuvre pour les rencontrer.

L'organisation de l'école doit permettre des AITIC

Cette réflexion aurait sans doute davantage sa place au sein des préoccupations organisationnelles. Ceci montre simplement ce que nous savons tous : la "pédagogie" n'est pas indépendante de l'organisation scolaire au sens large.

Nous pensons qu'une des manières les plus adéquates d'intégrer l'usage des technologies au sein des démarches d'enseignement et d'apprentissage est de ménager dans l'organisation temporelle de l'école des plages d'une certaine durée au cours desquelles les élèves, avec l'aide conjointe d'un enseignant (volontaire et averti) de telle discipline et d'une personne ressource en matière de technologie, auraient le temps et les moyens de mener à bien des projets relevant d'une discipline et utilisant les TIC.

Ce sont les circonstances et les bonnes volontés locales qui décideraient de marier technologies et géographie ou technologies et français ; mais il est en tout cas essentiel que des "activités intégrant les technologies de l'information et de la communication" (AITIC) soient explicitement planifiées. Un projet, quel qu'il soit, ne peut être mené à bien que si l'organisation de l'école le permet et l'encourage. (cf. [Duchâteau, 1996b])

Les usages des TIC sont des sources inépuisables de vrais problèmes

Même si les usages des TIC ont leurs racines hors des technologies elles-mêmes, ces usages sont sources de vrais problèmes  [1] à la fois pour les enseignants et pour les élèves.

Utiliser les technologies de manière raisonnée et créative, c'est être constamment affronté à la résolution de problèmes.

Sans doute est-ce le moment de rappeler que ce qui différencie le monde de l'éducation de beaucoup d'autres secteurs de l'activité humaine, c'est le fait que les produits, sont beaucoup moins importants que les processus qui les ont générés. Nous pouvons accepter qu'un employé additionne à la calculette des séries de nombres déjà encodés au sein d'un tableur (tant pis pour la productivité !), jamais nous ne pourrons l'admettre de la part d'un élève... ou d'un enseignant.

Il faut encourager les utilisations personnelles des TIC
par les enseignants

Bien avant de décider d'utiliser les technologies dans sa démarche d'enseignement, au sein de ses classes, l'enseignant doit les avoir suffisamment apprivoisées sur le plan personnel. On voit mal qu'un enseignant qui ne trouverait aucune utilité individuelle à ces technologies (pour gérer et préparer ses cours, pour chercher des informations pertinentes) en devienne un adepte convaincu au sein de ses classes.

Toutes les initiatives visant à promouvoir et à supporter ces utilisations personnelles sont bonnes à prendre, mais nous sommes là, sans doute à nouveau, plus proches du pôle organisationnel que du pôle pédagogique "pur".

Le pôle organisationnel

C'est sans doute celui qui préoccupe davantage les directions. Ce qui a été dit ci-dessus des problèmes techniques ou pédagogiques en montrait d'ailleurs le lien intime avec les paramètres organisationnels. Ces derniers sont multiples : ils vont du choix des locaux qui accueilleront le matériel à la désignation des personnes ressources, en passant par l'organisation temporelle de l'accès aux ressources.

Notre expérience de collaboration avec certaines écoles nous amène à pointer quelques facteurs essentiels.

Le "style" de la direction

Les technologies ne débarquent pas sur un terrain vierge en matière d'organisation. Elles ne sont qu'un élément supplémentaire à gérer par l'institution scolaire et particulièrement par la direction.

Un soutien résolu et déterminé de la direction aux initiatives et aux projets en matière d'usage des technologies par les enseignants et les élèves est une condition essentielle de réussite. Il y a deux attitudes extrêmes et opposées, également préjudiciables : dans certains cas, rares il est vrai, l'intégration des TIC est un projet de la seule direction, soit à cause de l'intérêt personnel de celle-ci, soit parce qu'elle y voit une occasion de "faire bouger les choses" au sein du corps enseignant. Dans d'autres cas, la direction "encapsule" le problème posé par les technologies en s'en déchargeant complètement, souvent sur le dos des personnes ressources, tenues de prendre des responsabilités et des initiatives qui les dépassent (voir plus loin).

Même s'il est évidemment impossible de dépeindre une "attitude modèle" de la part des directions, nous pouvons souligner l'importance de son rôle, comme soutien attentif et encouragement au travail de toute une équipe préoccupée de faire avancer les usages des technologies et leur appropriation par tous ceux qui le souhaitent.

Le choix des personnes ressources

La dernière partie du présent document est toute entière consacrée au profil et aux rôles des personnes ressources. C'est dire que le choix de ces dernières est essentiel et devrait faire l'objet d'un certain consensus au sein du corps enseignant, plutôt que d'être décidé par la seule direction.

L'organisation des horaires

Nous l'avons souligné, l'usage des technologies et la méthodologie du projet s'accommodent mal d'un "saucissonage" horaire en périodes de 50 minutes. Sans vouloir bouleverser complètement toute organisation temporelle et sombrer dans le chaos, l'aménagement de périodes plus longues où pourraient prendre place les AITIC est sans doute l'une des manières les plus adaptées à promouvoir les usages pertinents des technologies.

Les personnes ressources

Voilà sans doute l'une des pièces majeures du dispositif qui pourrait permettre une appropriation des TIC par tous ceux qui au sein de l'école le souhaitent. Sans un support local, qui conjugue au sein d'un petit groupe de personnes des compétences techniques, des préoccupations de soutien pédagogique et une attention aux problèmes d'organisation, l'apport en matériel est voué à l'échec.

Avant de dire ce que sont et ne sont pas les rôles des personnes ressources et le profil qu'on attend d'elles, il est bon de souligner l'un ou l'autre élément général, sur lesquels les personnes ressources avec lesquelles nous avons eu l'occasion de travailler ces dernières années ont insisté.

  • Les personnes ressources sont un peu les généralistes en matière de technologies. Elles ne peuvent pas se substituer aux enseignants des diverses disciplines lorsqu'il s'agit d'analyser les usages des technologies au sein de ces disciplines. Elles peuvent aider et conseiller, mais ce ne sont pas elles qui vont juger de la pertinence d'un CD-ROM sur l'histoire ou de la qualité d'un site Internet portant sur la biologie.
  • Il vaut mieux disposer de plusieurs personnes ressources, à la fois pour des raisons d'efficacité, de permanence des services à assurer, de diversité des compétences requises...
  • Il faudra bien qu'à terme la fonction de personne ressource s'accompagne d'un statut qui reconnaisse et manifeste cette fonction. Dans l'immédiat, il est impératif que ces personnes soient dégagées d'une partie de leurs heures de cours pour assumer les fonctions qu'on attend d'elles. Sinon, il y a gros à parier que la bonne volonté et le bénévolat finiront par céder la place au désenchantement et au découragement.
  • Il faut éviter, en ce qui concerne le choix des personnes ressources, deux écueils tragiques : d'une part, faire jouer ce rôle par un fanatique de la technique, un "informaticien fou", enfermé dans un rôle de pur technicien, fermé aux questions et aux demandes de ses collègues ; d'autre part, confier cette fonction à un "pédagogue planant" dont les compétences en matière d'usages des technologies sont nulles et qui répond "avez-vous bien fixé vos objectifs pédagogiques" quand on se plaint d'une panne d'imprimante.

Les rôles d'une personne ressource

Ils sont multiples et touchent comme nous l'avons dit aux trois pôles mis en évidence. Nous les classerons cependant le long d'axes qui mettent davantage en avant les fonctions remplies par ces personnes.

Cette partie sur les rôles joués par les personnes ressources résulte directement d'un certain nombre d'observations faites par ceux et celles qui ont joué ces rôles au sein du projet qui nous a réunis. Ces considérations prendront donc souvent la forme d'énumérations ou de commentaires émanant des personnes ressources elles-mêmes.

La formation des autres enseignants

C'est sans doute l'un des rôles les plus gratifiants. Voici ce qu'en disent les personnes ressources avec lesquelles nous avons travaillé :

  • la demande de formation de la part de certains collègues est énorme, mais l'organisation de ces formations est difficile (étant donné l'organisation générale de l'école ou le fait que le matériel, très utilisé par ailleurs, n'est guère disponible pour ces formations) ; les exigences des collègues en ce qui concerne les formations à organiser sont parfois impossibles à rencontrer ;
  • ces demandes de formation sont motivées par plusieurs facteurs : besoin d'être au courant vis à vis des élèves, présence d'équipement au sein des locaux, possession d'un ordinateur à domicile, forte pression des élèves ;
  • la formation peut prendre des formes diverses : aide technique, rédaction de syllabus, formation au sens strict...
  • la formation est souvent gratifiante pour la personne ressource et change les relations qu'elle peut avoir avec les collègues ;
  • la personne ressource a également un rôle de formation vis à vis des élèves et pourquoi pas vis à vis des parents ;
  • la formation est l'une des manières d'échapper au cycle infernal des dépannages impromptus.

L'accompagnement de collègues pendant certains cours

Nous retrouvons là le rôle évoqué ci-dessus de co-responsable des AITIC et touchons à nouveau à la nécessité d'une organisation qui permette aux personnes ressources de jouer pleinement ce rôle d'accompagnatrices :

  • la pratique avec l'outil déstabilise les enseignants : ils préfèrent (au moins au début) être accompagnés par la personne ressource pendant certains cours où les TIC sont utilisées, afin de se sentir rassurés et pour optimiser le travail avec les élèves. Dans ce contexte la personne ressource est un peu un "ange gardien" qui "sécurise" les enseignants en établissant une relation de confiance ;
  • ce rôle d'accompagnateur permet aux enseignants utilisateurs de ne pas gaspiller du temps à propos des problèmes matériels.

L'animation pédagogique

Tout en gardant un rôle généraliste, la personne ressource, en symbiose avec des animateurs disciplinaires, doit amener des idées, promouvoir des méthodes, contribuer à développer une culture en matière de TIC. Cette complicité avec les professeurs des autres branches dans l'animation pédagogique des projets est gratifiante :

  • la collecte d'informations à mettre à disposition des autres est un rôle important (voir ci-dessous le rôle d'interface) ;
  • la discipline (=matière) est un vecteur d'intégration des TIC, mais tout dépend de la personnalité des enseignants ;
  • la personne ressource est un médiateur entre les outils et les projets disciplinaires : elle aide à mener la démarche (par exemple en terme d'analyse de faisabilité). Elle est aussi celle qui va rechercher les outils adéquats et les solutions adaptées ;
  • la personne ressource a aussi un rôle de coordination au sein des équipes qui se créent autour des divers usages des technologies.

Le dépannage

C'est évidemment ici que les déviations sont les plus fréquentes et les plus pernicieuses : la personne ressource ne peut pas être à la merci des demandes nombreuses et pressantes de dépannages "immédiats" exigés par les utilisateurs. Face à ce type de dysfonctionnement (voir ci-dessous), deux remèdes possibles :

  • d'abord, la formation et surtout les micro-formations à apporter en réponse à ces demandes de dépannage. Comme nous le disons fort souvent, il faut dépanner "les mains derrière le dos" : rien ne sert de régler un problème à la place de l'utilisateur ; il faut prendre appui sur la difficulté apparue pour fournir, autant que possible, les explications qui vont permettre à l'utilisateur lui-même de régler le problème et de comprendre pourquoi ;
  • et si l'utilisateur ne veut pas que l'on tente d'augmenter ses compétences afin qu'il puisse faire face à l'avenir au problème évoqué et à des problèmes similaires, la seule attitude tenable est de ne pas accepter de régler le problème à sa place ;
  • il faut imaginer des systèmes de médiation pour les demandes de dépannage afin de les rendre traitables et acceptables (panneau ou tableau pour les questions ou la description des "pannes", permanences organisées à certains moments,...).

La formation continue personnelle des personnes ressources

L'un des rôles essentiels des personnes ressources consiste à continuer à se former et à acquérir des compétences supplémentaires. C'est aussi d'échanger avec d'autres, confrontés aux mêmes réalités, par exemple à travers des occasions de rencontre à l'intérieur d'un réseau groupant les personnes ressources.

Le rôle d'interface vis à vis de centres de ressources extérieurs

Ce rôle n'est évidemment pas indépendant de la formation continue qui vient d'être évoquée. Le contact avec un centre de formation et de ressources en matière de TIC est souvent l'occasion d'y amener les problèmes qui n'ont pu être résolus localement. La solution des problèmes évoqués, construite en groupe et sous la conduite d'experts, est une occasion irremplaçable de formation et de croissance des compétences de l'ensemble des personnes ressources concernées.

Ce contact avec des centres de ressources extérieurs permet aussi aux personnes ressources de jouer le rôle de veille technologique qu'on attend d'elles : être attentives aux nouveautés significatives, aux changements qualitatifs importants, etc.

Des dysfonctionnements et des déviations du rôle assigné à la personne ressource

La personne ressource n'est pas "bonne à tout faire" en matière de TIC

Les exemples sont nombreux des déviations dans ce domaine. Voici quelques tâches qu'il nous a été donné de voir ou ce qui nous ont été rapportées et qui dépassent, parfois de très loin, ce qui constitue des rôles acceptables pour les personnes ressources : installation du matériel, transport du matériel à réparer, replacement du papier dans l'imprimante, accueil/surveillance des élèves dans le local informatique, recherche de documentation sur Internet et CD-ROM pour le compte de collègues incapables de la faire et qui ne veulent pas se former, sauvegarde, dépannage secrétariat... Et cela va même parfois jusqu'au point où la personne ressource est invitée à procéder à des installations au domicile des collègues.

Être chargé de tout en matière de TIC (installation, problèmes du réseau, problèmes de secrétariat, de la direction...) n'est pas pensable. De même, être chargé des problèmes techniques ("débrouillez-vous pour que le réseau marche") sans être associé aux décisions ou à la préparation de celles-ci ("propositions ignorées par la direction, pas même de consultation, on est la 5ème roue du char") est indéfendable et insupportable par les personnes ressources.

La personne ressource n'est pas un centre de dépannage

Quelques remarques sur ce point déjà évoqué plus haut et qui sont autant de déclarations recueillies des personnes ressources elles-mêmes :

  • trop souvent les interventions se font dans l'urgence, parce que certains enseignants ne veulent pas consacrer du temps à la formation ("on nous attrape, même pendant les cours") ;
  • ce ne sont pas les mêmes enseignants qui demandent des formations et qui réclament des dépannages dans l'urgence ;
  • les "alphabétisés" ont des demandes plus traitables, plus ciblées que les autres ; pour ces derniers on sert à tout.

D'autres dysfonctionnements

Certains sont liés au flou qui entoure le mandat et la fonction :

  • ne pas avoir une fonction et un mandat clair : "on constate subitement que d'autres sont personnes ressource aussi" ;
  • la procédure de désignation des personnes ressource est importante et variable d'une école à l'autre : cela peut se faire dans le flou le plus complet, ou par une décision de la seule direction sans concertation (par exemple avec les professeurs d'informatique qui se sentent alors exclus) ;
  • la formation des enseignants se fait parfois ailleurs, sans y associer les personnes ressources.

Nous l'avons souligné ci-dessus : la transparence des décisions de la direction, la concertation, le travail en équipe sont des facteurs essentiels de réussite. Les personnes ressources ne souhaitent pas s'occuper de tout en matière de technologies, elles souhaitent seulement être traitées en personnes responsables et non en exécutantes.

Les rapports avec certains enseignants d'informatique sont parfois sources de conflits ou de dysfonctionnement :

  • il faudrait changer la formation et les pratiques de certains enseignants d'informatique : aider à maîtriser les TIC, ce n'est pas fournir un ensemble de recettes ("vous cliquez là...") ;
  • les enseignants d'informatique constituent parfois une contrainte, un frein ou une source de blocage et d'immobilisme.

Enfin, beaucoup de personnes ressources signalent la disproportion entre le temps consacré à leur mission et le très faible dégagement horaire qui leur est accordé :

  • le manque de temps ou de disponibilité des locaux sont des facteurs négatifs :
  • le travail accompli est démesuré par rapport au temps officiellement consacré, mais ce travail est reconnu à sa juste valeur par la direction et les collègues et, dès lors, on l'accepte.

Souhaits des personnes ressources

Enfin, voici en vrac des éléments, souhaits souvent, regrets parfois, dont nous ont fait part les personnes ressources associées à notre projet :

  • il faut une procédure de désignation et une fonction claires ;
  • il faut une réflexion globale sur les moyens nécessaires ;
  • la personne ressource doit voir son rôle reconnu, avoir un statut clair (qui ne mette pas en péril son avenir professionnel) ; ce n'est pas un dépanneur technique ;
  • il faudrait au moins un mi-temps par personne ressource pour pouvoir à deux assurer une permanence tout au long de la semaine ;
  • il est important d'être au moins deux ;
  • les personnes ressources devraient disposer d'un bureau ou d'un lieu de travail, permettant une permanence au sein de l'école ;
  • il est important de suivre des cours très pointus, même si on manque de temps pour fixer les choses découvertes ;
  • le temps manque pour appliquer les choses découvertes en formation : tester les résultats, analyser les problèmes à résoudre...
  • l'approche par résolution de problèmes est bénéfique : elle permet d'expliquer en profondeur de remettre en question ce qu'on croit connaître ;
  • il faudrait des moments de découverte de logiciels éducatifs (peut-être par discipline ?) ;
  • en ce qui concerne les réseaux, il faudrait un module d'exercices, de mise en situation, de rencontre des problèmes. L'adéquation du calendrier de la formation avec celui de l'installation d'un réseau au sein de l'école est un plus ;
  • les supports pédagogiques sont appréciés quand ils existent et réclamés quand ils n'existent pas ;
  • la formation reçue et les rencontres avec d'autres personnes ressource est une "bouffée d'air".

CONCLUSIONS :
LE PROFIL ATTENDU D'UNE PERSONNE RESSOURCE

Étant donné les multiples rôles assignés aux personnes ressources, on attend d'elles un certain nombre de qualités.

Les qualités relationnelles attendues

L'intégration de la personne ressource dans le groupe des enseignants de l'école est un facteur essentiel : on n'a que faire de fanatiques passionnés des ordinateurs mais marginalisés dans la communauté des enseignants, de responsables du local informatique dont le rôle essentiel consiste à décourager l'accès des autres à "leur" matériel. Il faut des personnes de dialogue, bien perçues par leurs collègues.

Il faut des personnes qui ont le souci de partager leurs connaissances et leurs découvertes, qui ne cachent pas leurs incompétences derrière un pseudo-jargon inaccessible aux débutants. Ils doivent avoir le souci de faire comprendre les choses plutôt que de résoudre les problèmes à la place des gens ; ils doivent être prêts à aider véritablement, voire à former leurs collègues.

Ils doivent être suffisamment disponibles : si les contraintes (bien compréhensibles) de la vie familiale les oblige à ne passer à l'école que le minimum de temps nécessaire, il leur sera bien difficile d'assurer un support suffisant pour faciliter l'accès des autres enseignants aux TIC.

En bref, il faut des animateurs, bien intégrés au sein de l'école, bien perçus par leurs collègues, soucieux de faciliter l'accès aux technologies et de partager leurs connaissances.

Qualités personnelles

Il faut des personnes conscientes de leurs lacunes et prêtes dès lors à apprendre et à se former en permanence et non des "spécialistes" qui connaissent tout de la toute dernière version du logiciel "machin" et répondent "mégahertz" lorsqu'on essaye de cerner quelques-uns des invariants de l'informatique.

Il faut des personnes capables de prendre du recul par rapport à leurs connaissances techniques et leurs pratiques, capables d'une certaine réflexivité et d'une analyse des caractéristiques des environnements informatisés.

Une expérience concrète de la conduite de projet est un atout supplémentaire de même qu'une attention aux problèmes relationnels et organisationnels.

Connaissances techniques

Le rôle de personne ressource postule évidemment une certaine familiarité avec les TIC.

Même si les savoirs et savoir faire en matière d'utilisation des environnements informatisés sont indispensables, il ne faut pas que ces connaissances techniques soient un obstacle au progrès et au partage : il faut des personnes capables de théoriser et non obnubilées par l'utilité immédiate des connaissances à acquérir. À titre d'exemple, nous préférons des personnes capables de comprendre que des questions comme "Qu'est-ce qu'un ordinateur ?" ou "À quelle condition une information est-elle traitable par un ordinateur ?" valent la peine qu'on s'y intéresse et qu'on s'y arrête un certain temps. Un souci de s'attarder aux concepts et aux invariants plutôt que de se limiter aux détails techniques et aux particularités est essentiel.

Une certaine maîtrise réfléchie des rôles, fonctions et possibilités du système d'exploitation est indispensable (gestion des mémoires de masse, installation d'applications, paramétrage...). Une utilisation courante et raisonnée est nécessaire.

Une bonne connaissance des fonctions et caractéristiques des logiciels classiques et une compréhension des modes de pensée qui les accompagnent est obligatoire. Ainsi une maîtrise minimale du traitement de texte, du tableur, d'un logiciel de dessin, des outils de communication sont nécessaires et une familiarité plus grande avec l'un des ces logiciels est un atout supplémentaire.

Le souci de jouer le rôle d'interface entre les enseignants utilisateurs et les experts présents au sein des centres de ressources extérieurs est indispensable : la personne ressource doit être capable de cerner les composantes techniques d'un problème et d'en faire part dans un langage approprié.

Une expérience personnelle d'intégration des TIC dans sa propre discipline est évidemment souhaitable ainsi que le souci de prendre du recul par rapport aux modalités de cette utilisation.

En résumé, il s'agit de personnes capables d'une réelle réflexion technologique, qui s'appuie sur des connaissances techniques en prenant le recul nécessaire à une réflexion méthodologique, dans un souci de partage. Deux écueils sont à éviter : l'enfermement dans la technique d'une part, la fuite vers des préoccupations purement pédagogiques qui ne reposent pas sur une maîtrise technique suffisante d'autre part.

Terminons enfin sur une note optimiste en reprenant quelques-uns des apports des technologies, signalés par les personnes ressources elles-mêmes :

  • l'usage des TIC renforce les contacts avec les élèves ;
  • l'implication et la collaboration des élèves face à l'outil débouchent sur une attitude plus constructive de leur part ;
  • les élèves sont parfois plus prêts que les enseignants à entamer une réflexion ;
  • une dynamique se crée au sein de l'école : les élèves apportent des choses aux professeurs.

Voilà sans doute quelques raisons pour tenter de réussir une intégration harmonieuse et raisonnée des technologies au sein du monde éducatif...

Un bon enseignant, c'est quelqu'un qui en aide d'autres (les élèves) à transformer des informations en connaissances. Les TIC ont commencé à nous placer dans un bain d'informations qui risque bien de devenir un déluge. C'est dire que, plus que jamais, nous aurons besoin de bons enseignants...

 
Charles DUCHÂTEAU, Étienne VANDEPUT

CeFIS
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Paru dans la Revue de l'EPI n° 97 de Mars 2000.

 

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NOTES

[1]. Un "vrai" problème est une situation qui n'est pas inventée par quelqu'un d'autre qui vous dit qu'il s'agit là d'un "problème", mais une situation dans laquelle la personne elle-même, élève ou enseignant, reconnaît une difficulté à surmonter pour progresser dans la démarche. On ne résout pas un "vrai" problème pour le seul plaisir d'en exhiber la solution, mais parce qu'on a réellement besoin de cette solution.

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(3 avril 2000)