OBJECTIF LINUX

Jean-Jacques COUDERC

Un élève se détacha du groupe qui sortait de la salle. La question me surprit : "Monsieur, qu'est ce qu'un DNS ?" J'expliquai brièvement. Puis, je demandai pourquoi.

"J'ai installé Linux sur mon ordinateur et lors d'une connexion, s'affiche un message disant que le numéro DNS est incorrect..." La suite me montra que l'élève connaissait le sujet.

Je complétai alors ma réponse en précisant qu'un "ping" [1] permettrait de récupérer l'adresse DNS correcte et que tout devrait rentrer dans l'ordre.

L'élève sortit (ce n'était même pas un élève de l'option informatique, même pas un nerd [2] !). Je quittai la salle plein d'interrogations.

C'était la deuxième fois, en quelques mois, qu'un élève venait m'interroger sur Linux. Ces dernières semaines, les revues scientifiques ou d'informatique grand public ont publié force articles sur le sujet.

Un mouvement de grande ampleur semble avoir pris naissance.

Où cela va-t-il nous mener ? Allons nous passer à côté, une fois de plus (je parle de l'Éducation nationale) ?

Le moment me semble venu de faire le point - j'essaierai de ne pas être trop technique. Ce sera Linux vu par un enseignant.

1) LES RACINES : UNIX, GNU, OSS

On ne peut pas comprendre le succès de Linux si on n'en connaît pas l'origine. Ce n'est pas seulement une mode. Les fondations sont solides et profondes, techniquement et philosophiquement.

Unix est un système d'exploitation, développé dans les années 70 par un des créateurs du langage C, pour les ordinateurs et mini-ordinateurs. Il devint très populaire dans les laboratoires de recherche et les universités. Développé au plus haut niveau intellectuel et conceptuel, longuement éprouvé, c'est un système d'exploitation sûr et solide.

GNU est l'acronyme facétieux et auto-référent de "GNU is Not Unix". C'est une version ouverte et gratuite d'Unix. La version initiale était propriété de AT&T qui était un "monstre" dans le domaine du monopole. Ça ne vous rappelle rien ? GNU est à l'origine du mouvement Open Source Software (OSS) dont l'idée générale est la suivante : le logiciel est libre, son code source est accessible à qui en fera la demande, chacun peut le modifier, les améliorations éventuelles doivent être mise à la disposition de la communauté et seront reprises en compte dans la nouvelle version du logiciel. Cet esprit communautaire, très caractéristique des années 70-80 et également à l'origine de l'Internet, conduit à des logiciels enrichis en permanence certes mais de façon assez peu structurée, ce qui ne va pas sans défaut.

Linux est une version réduite d'Unix développée, depuis 1991, selon les principes de l'OSS pour les micro-ordinateurs. De nombreux programmes inclus dans une distribution Linux sont également élaborés selon les principes de l'OSS comme, par exemple, le serveur (interface) graphique Xfree86 ou Gnome (GNU network object model environment) (des équivalents de Windows).

[La revue PCExpert de mai 1999 contient d'excellents articles au sujet de l'OSS. Également, des articles dans la Recherche d'Avril 99 et la revue Science et Vie d'octobre 98 : c'est dire l'importance du mouvement.]

2) LES DISTRIBUTIONS ACTUELLES DE LINUX

Le caractère non structuré (je veux dire commercialement) de Linux fait qu'il en existe plusieurs "versions" appelées distributions.

Je ne décrirai que les plus diffusées par les revues ou ouvrages d'informatique.

Linux Red Hat : le plus souvent 5.2 mais la version 6.0 a fait son apparition en mai 1999 (téléchargeable à http://ftp.univ-lille1.fr/pub/pc/linux/ redhat/redhat-6.0/). Elle offre la procédure d'installation la mieux finie et la plus accessible au non technicien (voir plus bas : les difficultés d'installation). Les applications ou mises à jour sont fournies sous forme de paquets (packages) qui facilitent les installations (auparavant, il fallait se procurer le code source et le compiler...).

Linux Mandrake : cette distribution française s'appuie sur Red Hat 5.2. Elle propose, en plus, l'interface graphique KDE (K Desktop Environnement) en français, esthétiquement très satisfaisante, et des applications. Conseillée aux débutants qui y trouveront un système prêt à l'emploi, elle est décrite assez longuement dans la revue Science et Vie Micro d'Avril 1999 et la revue Freelog numéro hors série de mai 1999 qui propose deux cédéroms contenant Linux Mandrake et de nombreuses applications pour graver des CD, encoder des fichiers en MP3, etc. (les articles de cette dernière revue sont peu pertinents pour un débutant).

3) LES DIFFICULTÉS D'INSTALLATION

Des progrès ont été faits dans ce domaine par les distributeurs. L'installation est devenue plus facile. La première version que j'ai installée, avec difficultés, était la version Red Hat 5.1. Il est vrai que je n'avais pas choisi la facilité en le faisant sur un portable Compaq. Ce qui m'avait surtout posé problème était le serveur graphique XFree86. J'avais été obligé de bricoler les fichiers de configuration pour rendre le résultat acceptable.

Avec la distribution Linux Mandrake et Red Hat 5.2, tout est devenu plus facile...

Ceci pour indiquer que si installer Linux est devenu maintenant tout à fait abordable, il faut malgré tout s'attendre à des difficultés surtout si on utilise une machine "de marque" qui utilise des routines propriétaires ; cela se passe en général mieux sur un clone d'assembleur qui utilise, pour le matériel, des routines standard.

Par où commencer ? L'installation, il est fort probable, sera faite sur une machine où Windows est déjà installé et que l'on voudra conserver. Ce qui signifie qu'il faudra faire de la place pour Linux et faire cohabiter les deux systèmes d'exploitation. Concrètement, il faudra créer de nouvelles partitions sur le disque dur pour y installer Linux. Les distributions de Linux citées plus haut possèdent les utilitaires pour cela (DiskDruid est le plus pratique). Cependant, on voit que dès le départ, l'installation de Linux suppose une "culture informatique" suffisante concernant l'architecture matérielle et logicielle d'un ordinateur sous peine d'aller à la catastrophe.

Pour ne pas transformer cet article en manuel technique, je ne détaillerai pas plus la procédure d'installation. Je renverrai à un ouvrage qui décrit cela très bien : Linux Toutes distributions de M. Wielsch chez MicroApplication (environ 60F sans cédérom ou la version avec cédérom de la distribution Red Hat à environ 100 F). Il est quasiment indispensable d'avoir un manuel de ce style sous la main pour accompagner les premiers pas. Les ouvrages de la collection O'Reilly, un peu plus chers, sont aussi un bon accompagnement.

L'installation terminée, LILO (Linux Loader) permettra à la convenance de l'utilisateur de lancer Linux ou Windows. Avantage : Linux sait lire les disques formatés sous DOS.

Reste à installer ensuite les périphériques : carte son, modem etc. Pour des matériels classiques (SoundBlaster par exemple), cela se passe sans problème. Pour des matériels plus récents, sophistiqués ou exotiques, cela peut devenir un vrai parcours du combattant mettant à rude épreuve l'esprit "pionnier" de l'utilisateur. Cependant, la communauté Linux est toujours là pour donner un coup de main :

- à travers les nombreux sites Web proposant des HOWTO (ou comment installer un modem, une carte série, un graveur de CD...), la plupart de ces HOWTO figurent également sur les distributions citées plus haut. Comme le nom l'indique, beaucoup de ces HOWTO sont en anglais mais les plus importantes sont traduites en français.(Linux Station : http://pages.infinit.net/linux99/ ou les HOWTO de freenix : http://www.freenix.org/unix/linux/HOWTO/ ou tout simplement, tiré de la revue Epinet : http://www.linux-france.org/prj/edu/ archinet/debut.htm)

- à travers les forums (fr.comp.os ou fr.comp.os.linux.configuration) et les FAQ [3] qu'il faut toujours avoir lues AVANT de poser une question sur le forum.

On sentira vraiment souffler, sur ces sites et forums, l'esprit communautaire à la base de l'OSS.

On voit que l'installation suppose aussi une connaissance poussée du monde Internet.

L'idéal est, peut-être, d'avoir un Linuxien sous la main mais on apprend aussi, seul, en mettant la main à la pâte ; bref, en pataugeant, à condition d'avoir du temps à y consacrer.

4) LES LOGICIELS

Maintenant, que ça fonctionne et bien (grande stabilité), qu'en faire ? Quelles applications ? Il est clair qu'un enseignant n'y trouvera pas de logiciels éducatifs ou culturels, du moins pas encore. Néanmoins, il pourra :

- utiliser une suite bureautique comme StarOffice (compatible avec les produits Microsoft en ce qui concerne les formats de fichiers). StarOffice est gratuit dans le cas d'une utilisation personnelle sur un seul poste ;

- taper ses textes avec WordPerfect version 8 de l'éditeur canadien Corel (gratuit sur le cédérom de la revue Netsurf de février 1999) ;

- retoucher des images avec Gimp (gratuit, inclus dans les distributions, aussi puissant que Photoshop) ;

- programmer en Java ou en C++ (les outils de développement y sont gratuits).

et bien entendu, faire tout ce qui se fait sur Internet : Web, messagerie, news, etc. grâce à Netscape (qui né dans l'OSS avec Mosaic, est récemment revenu à l'OSS avec Communicator 5.0) ou avec l'ultra-léger Opéra.

Une question ! Peut-on faire fonctionner sous Linux un logiciel écrit pour Windows ? la réponse est : Wine.

Wine est un émulateur Windows qui devrait permettre d'utiliser, dans un premier temps, Word ou Excel sous Linux. Ce n'est pas encore satisfaisant. Cependant, d'après les développeurs environ 90 % des API Windows sont implémentées. Les progrès du projet peuvent être suivis sur http://www.winehq.com/Apps qui tient à jour une liste des programmes Windows qui ont été testés et des commentaires sur leur comportement. C'est une voie prometteuse pour les familiers de Windows ; cependant, la tâche est énorme.

5) LINUX ET LES RÉSEAUX. LE SERVEUR APACHE

Plus de la moitié (54 %) des noms de domaines sur le Web sont hébergés par un serveur Apache - pur produit de l'OSS - contre 23 % par des produits Microsoft. Cela prouve le sérieux et la qualité des logiciels de l'OSS.

Apache est fourni avec la plupart des distributions dont Linux Mandrake de la revue Freelog (voir plus haut).

Pour une fois, l'Éducation nationale s'est intéressée assez tôt au produit (accord cadre du 28 octobre 98 http://www.aful.org/education/ accord.html) - sans doute à cause de son caractère gratuit - et quelques académies (Caen, Grenoble, Clermont-Ferrand) ont expérimenté la mise en place de réseaux sous Linux.

Ainsi, une expérience est en cours, dans l'Académie de Caen, au Lycée Pierre et Marie Curie, en collaboration avec l'AFUL (Association Francophone des Utilisateurs de Linux et de logiciels libres) : http://www.aful.org et http://www.crdp.ac-caen.fr/linuxconf/linuxconfcrdp.html. De même, le Lycée Jeanne d'Arc de Clermont-Ferrand (http://perso.wanadoo.fr/ gerard.blanchet/wlfc-prj-jdarc/index.htm) offre une description complète de la façon de configurer Samba qui permet que des machines clientes Windows, sur un réseau local, voient les ressources du serveur sous Linux.

Le projet SLIS (Serveur de communications Linux pour l'Internet Scolaire) de l'Académie de Grenoble semble aussi un des plus avancés (http://www.ac-grenoble.fr/carmi-internet/slis/index.html) et d'autres utilisations des réseaux sous Linux dans l'enseignement sont décrites, de manière parfois très détaillée, à http://www.aful.org/xp/edu.html. Cela prouve le sérieux de l'expérimentation et la volonté de la faire partager.

6) LINUX PEUT-IL CONCURRENCER WINDOWS ?

Côté serveur, Linux a des atouts indéniables de fiabilité qui ont fait que les installations sous Linux ont augmenté de 212 % en 1998. Il est vrai que de nombreux webmestres viennent du monde Unix et que le sûr et robuste Linux leur est tout de suite familier.

Côté client, Linux est inégal : certains utilitaires ou applications (xfm gestionnaire de fichiers) ne sont pas achevés sur le plan de la convivialité et l'utilisation souvent incontournable de la ligne de commande risque d'en rebuter certains ; d'autres applications par contre sont surprenantes de qualité. En outre, l'installation reste encore délicate pour des néophytes. À moins, de faire l'acquisition directement d'un PC dont le système d'exploitation est Linux comme le propose Dell Computer (Revue InfoPC de juin 1999)...

Cependant, le mouvement est lancé et gageons que les progrès pour résoudre certains problèmes de jeunesse - Linux n'a que neuf ans - risquent d'être très rapides.

Je ne suis pas sûr que Microsoft, accusé d'être en situation de monopole, voit l'essor de Linux d'un mauvais œil pour le moment. Nous verrons dans quelque temps.

Septembre 2010 : C'est ma dernière prérentrée et dans le brouhaha des retrouvailles, quelques rangs devant moi, un jeune homme vient d'allumer un ordinateur portable - sans doute le nouveau collègue qui vient enseigner l'informatique ; devenue depuis cinq ans matière obligatoire. Ils sont de plus en plus jeunes. Je ne peux lire, d'où je suis, les caractères qui défilent sur l'écran mais je vois cependant se dessiner Tux [4]. Dévisageant ce jeune homme plus attentivement, je comprends qu'il a fini par résoudre son problème de DNS...

 

Jean-Jacques COUDERC

Lycée Comte de Foix
Andorre
http://www.andorra.ad/lycee_comte_de_foix/index.html

Paru dans la Revue de l'EPI n° 95 de Septembre 1999.

NOTES

[1]. Utilitaire qui permet de tester une connexion en TCP/IP; retourne, entre autres informations, l'adresse IP dur serveur.

[2]. Adolescent passionné d'informatique; généralement un garçon, plus intéressé par les machines que par les filles...

[3]. FAQ: Foire Aux Questions; les réponses aux questions les plus fréquemment posées.

[4]. Tux est le pingouin mascotte de Linux.

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(21 février 2000)