ÉDITORIAL

 

Nous avons déjà eu l'occasion de souligner la prise de conscience des Pouvoirs publics concernant l'importance des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication, notamment dans le système éducatif. Depuis le discours de Lionel Jospin, devant l'Université d'été à Hourtin en juillet 1997, les déclarations et les textes se succèdent.

Nous publions, dans la rubrique Documents de ce numéro, de larges extraits des dernières en date : l'intervention de Claude Allègre au Congrès de la PEEP et la Conférence de presse tenue par Ségolène Royal le 25 mai 1999 sur le thème : "Le collège des années 2000 : un collège pour tous et pour chacun" [1]. Pour compléter l'information pour ce qui concerne les partenaires, nous avons également retenu des passages significatifs de la motion "Informatique et technologies de l'information et de la communication dans le système éducatif" adoptée lors du dernier Congrès du SNES [2], et du supplément de l'Enseignant de mars 1999, le journal du Syndicat des Enseignants, qui propose un ensemble de contributions et d'entretiens sous le titre : "École, citoyenneté, technologies nouvelles [3]".

Il existe à l'évidence une volonté politique, comme le montre par exemple la mission confiée à l'Inspecteur Général Bérard pour la prise en compte de l'usage des TIC dans le contenu des nouveaux programmes disciplinaires. Cette décision, complétée par une lettre de cadrage adressée au Conseil National des Programmes [4] et confirmée par Claude Allègre dans sa réponse à un élu [5], va dans le bon sens mais elle rencontrera bien des difficultés pour se traduire dans les faits. Certes, c'est une condition nécessaire mais pas suffisante si elle ne s'accompagne pas de moyens avec comme objectif prioritaire la formation des enseignants, ce que l'on reconnaît volontiers rue de Grenelle comme nous avons pu le constater lors de la rencontre au Cabinet du Ministre le 19 mai dernier. Au cours de l'entretien il est apparu clairement que les responsables mesurent la distance qui sépare encore les discours des réalités du terrain, et ils souhaitent, à l'évidence, que les enseignants fassent preuve de "patience" compte tenu de l'ampleur de la tâche. Ils admettent également que la prochaine rentrée, au lycée, risque d'être quelque peu chaotique pour ce qui concerne l'évaluation des compétences informatiques des élèves arrivant en seconde, et la remise à niveau en la matière. Faute de pouvoir dégager les moyens nécessaires pour organiser des tests au lycée d'une part et ignorant quels sont les moyens humains disponibles en terme de compétences pour en assurer l'exploitation d'autre part, ce bilan sera réalisé par les professeurs de technologie en fin de 3ème. Cette solution, dont les responsables nous ont indiqué qu'ils en connaissaient les inconvénients, ne peut nous convenir car elle aura toutes les chances de donner une image floue et de créer des inégalités. Seule une évaluation basée sur les mêmes critères au plan national serait susceptible de fournir des résultats acceptables. Imagine-t-on, de surcroît, un professeur de technologie "avouer" qu'il n'a pas traité le volet informatique du programme ou un principal questionné par la hiérarchie, comme cela s'est déjà produit, répondre que les élèves sortant de son établissement n'ont pas acquis les savoir faire attendus ? Nous avions demandé, dans le cadre d'un moratoire, de surseoir à la suppression de l'option informatique, non pas par acharnement "idéologique" ou position de principe, mais parce qu'instruits de l'expérience passée et connaissant les possibilités sur le terrain nous savions que les conditions n'étaient pas encore réunies pour l'extension de cet enseignement à tous les élèves comme cela était prévu à l'origine, faut-il le rappeler. Le Ministère et les instances compétentes seraient bien inspirés, avant la mise en place des Travaux Personnels Encadrés, à la rentrée 2000, de tirer toutes les conséquences de cette situation. L'EPI, pour sa part, s'appuyant sur l'expérience de ses adhérents, praticiens de terrain, présentera en temps utile des propositions d'aménagement.

À l'évidence donc, les discours et les textes, même bien intentionnés, ne suffisent plus : s'ils commencent à correspondre aux aspirations des "pionniers" par contre ils sont très décalés par rapport aux attentes des enseignants de base dont le quotidien devient de plus en plus difficile (notamment au collège) et qui ne voient pas en quoi les TIC peuvent résoudre leurs problèmes. Faut-il le leur reprocher alors qu'encore trop peu de moyens ont été déployés pour les informer, pour les convaincre, pour les former à l'utilisation pédagogique de ces outils qui, au-delà de leur importance pour la formation et l'avenir du futur citoyen, sont dans l'immédiat un des éléments de nature à redonner du goût aux études à des élèves qui rejettent de plus en plus des méthodes inadaptées au monde dans lequel ils vivent. Parmi les mesures concrètes et réalisables rapidement, il est indispensable de donner dans chaque établissement une réalité à la fonction de personne-ressource en définissant très précisément le profil requis, les attributions, les moyens mis à disposition, les relais et les correspondants au plan académique, etc. (ce n'est pas une idée neuve, nous le demandions déjà dès 1980 !). À cet effet, nous avons eu l'occasion de dire, à maintes reprises, qu'il existait dans les académies des compétences en matière d'informatique et de TIC et qu'il convenait de les recenser, de s'appuyer sur leur savoir faire, de leur accorder une reconnaissance institutionnelle. Ces enseignants pourraient jouer un rôle d'animateur pédagogique, assurer une formation de proximité des collègues, solution réaliste compte tenu des besoins, mutualiser leurs pratiques et ainsi contribuer au développement de l'usage des TIC dans les disciplines. On ne pourra y parvenir si les établissements, comme c'est souvent le cas, continuent de fonctionner à moyens constants et sans instructions précises.

Notre système éducatif n'avait pas évolué en temps voulu parce que ses dirigeants successifs n'avaient pas su prévoir l'arrivée de la société de la communication mais entrepris des réformes, pris des décisions et des mesures qui n'étaient pas tournées vers l'avenir et dont aucune d'ailleurs n'a été menée à son terme. Nous reconnaissons que les discours officiels actuels, sur les Technologies de l'Information et de la Communication, montrent que des leçons ont été tirées des errements passés. C'est une avancée certaine mais il est temps maintenant que toutes les discussions menées sur les réformes de l'École débouchent sur une véritable mise en œuvre, installée dans la durée et à laquelle l'EPI est prête à participer. Il ne suffit pas de changer les méthodes, les contenus enseignés doivent aussi évoluer et être adaptés aux nouveaux moyens de communication mis à la disposition d'enseignants bien formés et équipés. Nous espérons, une fois encore, que les prochaines décisions ministérielles, les programmes élaborés par le Conseil National des Programmes et corrélativement l'évolution des concours de recrutement des enseignants répondront à ces attentes.

Jean-Bernard VIAUD

Président de l'EPI
Paris, mai 1999

Paru dans la Revue de l'EPI n° 94 de Juin 1999.

NOTES

[1]. Voir dans la rubrique Documents en pages 23-26.

[2]. Voir dans la rubrique Documents en pages 31-34.

[3]. Voir en pages 42-43.

[4]. Voir dans la rubrique Documents en pages 27-30

[5]. Voir copie en page 36.

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(11 avril 2000)