Editorial


Nos responsables politiques auraient-ils enfin mesuré les enjeux que représente pour l'avenir de la France l'intégration des nouvelles technologies dans le système éducatif et pris conscience qu'il était urgent de se ressaisir et d'agir ? Soyons optimistes, accordons leur ce crédit et n'y voyons pas seulement des effets d'annonce dans l'air du temps.

Au cours de l'entretien télévisé du 10 mars 1997, Jacques Chirac questionné sur les "hautes" technologies à l'École a annoncé qu'à l'horizon de l'an 2000 tous les établissements secondaires seraient connectés au réseau. Nous nous réjouissons de cette déclaration venant du plus haut niveau et espérons qu'elle sera de nature à donner une véritable impulsion au processus d'intégration et de déploiement de ces technologies dans l'enseignement. Au demeurant elle ne constitue pas une surprise puisque c'est un projet déjà mis en place par le Ministère de l'Éducation Nationale avec actuellement un millier d'établissements branchés sur 10 000 environ. Par contre nous aurions souhaité savoir ce qu'il était prévu dans ce domaine pour les quelques 6 711 600 élèves fréquentant les 53 000 écoles du premier degré qui reste le parent pauvre en matière de formation des enseignants et d'équipement. Est-ce un oubli ou jugé inutile parce que comme l'affirme le président : "Les hautes technologies, les enfants acquièrent cela extraordinairement vite" ? C'est vrai mais faut-il encore leur donner les moyens d'apprendre à "cliquer sur le mulot" selon l'expression désormais célèbre des guignols de l'info...

Par ailleurs dans la lettre de mission adressée par Alain Juppé au sénateur Alain Gérard pour le charger d'une réflexion sur “ La politique de développement des technologies nouvelles dans les établissements scolaires ”, nous avons noté avec intérêt qu'outre une évaluation sur les expérimentations de mise en réseau nous y retrouvons des questions pertinentes sur les conditions de l'intégration des nouvelles technologies. Attendons la suite... Parallèlement le sénateur Franck Sérusclat, pour le compte de “ l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques ”, a établi un rapport consacré aux "Apprentissages essentiels en vue d'une bonne insertion dans la société de l'information". De son côté le député Yves Haby chargé d'une mission sur les manuels et le poids des cartables s'est intéressé aux perspectives du cartable électronique. L'EPI a été consultée et auditionnée par ces instances pour y faire part de son analyse de la situation et présenter ses propositions.

Au Sénat et à l'Assemblée Nationale des élus, de toutes tendances, ont récemment adressé au Ministre de l'Éducation François Bayrou des questions orales ou écrites (1) sur les thèmes de la formation des enseignants et des élèves par rapport aux nouvelles technologies, de l'équipement des établissements en matériel informatique, des logiciels, de l'utilisation de ces nouveaux auxiliaires électroniques aux examens, des problèmes liés à l'usage de documents audiovisuels, sans oublier les réseaux et Internet. Une lecture attentive des réponses publiées au Journal Officiel fait ressortir d'une part des déclarations générales ne pouvant que recueillir notre approbation mais dont on ignore quand, comment et avec quels moyens elles seront mises en oeuvre, et d'autre part des annonces de projets se mettant lentement en place ou encore au stade de l'évaluation voire de la commission, spécialité typiquement hexagonale. Nous y avons aussi relevé des réponses quasiment identiques à des questions différentes. Existerait-il un artefact en la matière, une sorte de prêt à porter de la réponse ministérielle destiné à rassurer et à endormir (ou rendormir à l'occasion) le parlementaire questionneur ? Avec parfois des mauvaises façons à tous les sens du terme. Par exemple, on ne peut laisser affirmer et donner à croire, quand on connaît la réalité du terrain, que “ L'intégration des technologies d'information et de communication dans l'acte pédagogique quotidien de l'enseignant est largement prise en compte dans la formation professionnelle initiale dispensée par les IUFM à tous les futurs enseignants. Les IUFM assurent depuis leur création une formation générale et pratique qui d'une part donne aux professeurs les références théoriques indispensables et, d'autre part leur permet de s'approprier ces outils en les manipulant eux-mêmes ” (2). On ne peut assimiler le fait de taper tant bien que mal un mémoire à une vraie formation et encore moins à une utilisation pédagogique.

Le sénateur Pierre Laffitte en présentant à la presse le rapport de l'Office parlementaire (3) déjà cité a dénoncé les risques de domination culturelle et économique encourus par notre pays à cause des lenteurs françaises face à l'accélération mondiale que connaissent les nouvelles technologies. A l'époque Voltaire se plaisait déjà à remarquer que "les Français parlent vite et agissent lentement" ce doit être la raison pour laquelle nous attendons toujours la publication d'un texte (annoncée lors de notre entrevue à la DISTNB (4)) pour, entres autres, la prise en compte des nouvelles technologies dans le cursus de la formation initiale en IUFM. Les grandes lignes en ont été présentées par Bernard Dizambourg (5) lors de sa conférence au salon Educatec (6) et reprises dans le dossier de presse du Ministère distribué à cette occasion. Nous attendons aussi que la Direction des Lycées et Collèges publie les documents d'accompagnement pour l'Option informatique mise en place en classe de première en septembre 1996 et les programmes et les modalités d'évaluation au baccalauréat pour son prolongement prévu en terminale à la rentrée 1997.

Aux reproches de lenteur et de frilosité souvent adressés à l'Institution s'ajoute parfois la surdité. Ce doit être le cas de la Direction des Écoles, à l'abri du battage médiatique, comme en témoigne la note de service qu'elle a publiée au Bulletin Officiel n°7 du 13 février 1997 et adressée aux recteurs, inspecteurs d'académies et directeurs des services départementaux de l'Éducation nationale. Dans ce texte définissant pour les quatre années à venir (1997-2000) le plan national de formation continue des enseignants du primaire la seule chose remarquable dans un ensemble de directives, de recommandations générales et de priorités (sic) c'est l'absence des nouvelles technologies, aucune allusion à leur usage excepté le souhait que soit utilisée une gestion informatisée des stages... Un malheur n'arrivant jamais seul, l'amnésie doit être la raison pour laquelle nous attendons toujours, là encore, la publication des documents d'accompagnement pour l'utilisation de l'informatique en primaire. A moins qu'ils ne soient passés à la "trappe" comme l'excellent rapport qui avait été élaboré sur le sujet.

Sans attendre nous écrivons en ce sens au Président Jacques Chirac.

Jean-Bernard VIAUD
Président de l'EPI
15 mars 1997

(1) Voir extraits dans la rubrique Documents.
(2) Voir en page 51 de la rubrique Documents.
(3) Voir extrait d'un article des Echos dans la rubrique Informations générales.
(4) Direction de l'Information Scientifique, des Technologies Nouvelles et des Bibliothèques
(5) Directeur de la DISTNB.
(6) Voir compte rendu dans la rubrique Informations générales

 

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