L'informatique en histoire-géographie :
quels usages ?

Daniel LETOUZEY

PRESENTATION DE L'EXPERIMENTATION

En 1993, M Poncelet I.P.R d'Histoire-géographie a mis en place une expérimentation destinée à produire des séquences montrant l'intérêt de l'informatique pédagogique pour nos disciplines.

Cinq lycées (1) ont reçu une double dotation : 20 000 F attribués par la Région pour l'achat de matériels, une somme identique venant du Rectorat (D.E.V.S) pour l'acquisition de logiciels.

Les collègues volontaires ont reçu par ailleurs une aide dans le choix des matériels, dans le choix et l'installation des logiciels. Ils ont participé à quelques journées de regroupement ces deux dernières années. Les pages qui suivent présentent quelques pistes explorées en classe au cours de cette expérimentation.

Formée d'enseignants venus de lycées différents tant dans les conditions d'équipement que dans les types d'implantation (centre ville, milieu rural...), l'équipe ainsi constituée était également hétérogène en regard de la pratique de l'outil informatique. Les conditions de travail n'ont pas été aménagées pour l'occasion : les collègues dont les établissements sont ou seront équipés devraient pouvoir s'inspirer des exemples développés dans ce dossier.

QUE FAIRE EN CLASSE AVEC UN ORDINATEUR ?

L'erreur commune tient aux discours excessifs tenus sur cet outil : depuis ses origines, il est présenté, dans les discours politiques, comme le moyen de résoudre tous les problèmes du système éducatif : lutter contre l'échec scolaire, assurer la rénovation de l'enseignement, et bien sûr son utilisation ne nécessiterait aucun apprentissage ni aucun effort...

La réalité est plus complexe et plus modeste :

 L'ordinateur est un outil exceptionnel pour toutes les activités numériques : calculs statistiques, traduction graphique, affichage d'images numériques. Comme tel, il est devenu un auxiliaire fréquemment utilisé par nos collègues scientifiques, et un outil incontournable pour la plupart des chercheurs. Dans l'enseignement secondaire, une enquête britannique récente montre que les géographes ont moins de réticences que les historiens à son égard.

 Par contre, l'ordinateur semble apporter moins d'aide dans la compréhension des textes : l'intérêt de la lexicologie (par exemple, Etude de déclarations des droits de l'homme depuis 1789) est encore à prouver au lycée. A ce jour, aucun logiciel ne peut assurer la correction des dissertations. Le traitement de texte est irremplaçable dans la conception, la correction, la mise en forme d'un écrit, mais les 25 lignes d'un écran ne peuvent pas remplacer le support papier dans la lecture d'un texte long.

Enfin, les espoirs mis depuis dix ans dans l'Enseignement Assisté par Ordinateur semblent avoir été excessifs : la conception de tels logiciels demande une énergie considérable, et le résultat déçoit souvent des collègues habitués à une démarche plus artisanale mais aussi plus interactive...

Ces limites posées, il reste pour l'utilisation de l'ordinateur en classe, un champ considérable.

QUELS ELEVES ?

La situation actuelle est peu encourageante.

Une partie des élèves a acquis au collège des compétences en technologie : utilisation du traitement de texte, du tableur... Les plus favorisés disposent parfois à domicile d'une machine performante.

Mais la disparition de l'option informatique réduit le nombre de ceux qui apprenaient à se servir de cet outil : au lycée de Vire, il y avait 5 groupes de Seconde jusqu'en 1992 (80 élèves sur 350 environ), il ne reste en 1994-95 que 16 élèves dans l'atelier de pratique (A.P.T.I.C). Les cours de programmation qui attiraient les élèves scientifiques n'ont pas encore été remplacés par une initiation du plus grand nombre à la culture et à l'outil informatique. (2)

Cela rend notre tâche encore plus difficile : comme aux débuts de l'informatique, il faut parfois à nouveau apporter des rudiments d'informatique alors que l'essentiel, pour nous, est dans la manipulation des données, et dans l'analyse des résultats.

Heureusement ces difficultés sont compensées par la possibilité de nouveaux échanges avec les élèves, et un collègue signale plusieurs cas de situations relationnelles améliorées par le détour par l'informatique.

Les classes d'examen ayant d'autres priorités, le travail peut être mené avec des classes de seconde et des classes de première. Par chance, c'est aussi dans ces classes que la mise en place des modules permet la constitution de groupes dont l'effectif est inférieur à celui de la classe. Ajoutons que l'utilisation de l'ordinateur ne concerne qu'un petit nombre de séquences dans l'année : son statut n'est pas différent de celui des autres outils, ou de celui des visites éducatives.

QUELLES SITUATIONS PEDAGOGIQUES ?

Le crédit alloué par la Région permettait d'acheter un poste de travail. Vouloir utiliser un ordinateur pour une classe de 36 élèves conduit à laisser de côté la démarche habituelle des travaux dirigés individualisés. A partir de ce choix, quelques autres pistes ont été explorées.

Dans un premier temps, cette machine a servi de support à la formation des enseignants, et au travail de préparation de cours et de contrôles : c'est un passage obligé, la maîtrise individuelle de l'outil par l'enseignant précédant obligatoirement l'utilisation en classe avec des élèves.

Ensuite, cet ordinateur unique a souvent été un outil magistral : il a permis d'accompagner le cours pour l'analyse d'un document ou d'une courbe, pour la présentation des images satellitales...Sous Windows, l'affichage en mosaïque permet d'afficher à la fois des chiffres et la courbe correspondante, et donc de visualiser les résultats de simulations multiples. En cours, les logiciels de présentation (Powerpoint, Freelance Graphics...) commencent à remplacer certaines diapositives ou certains transparents.

Cela suppose un écran de grande taille, ou des outils coûteux de transfert : encodeur vers la télévision, tablette à retroprojeter (idéale en couleur, dans une salle correctement obscurcie), voire en salle multimédia avec un vidéoprojecteur.

Trois difficultés gênent cet emploi : le professeur doit se transformer en maître Jacques, face à des élèves spectateurs. Le matériel est souvent encombrant : présence de nombreux fils, nécessité d'un chariot robuste et stable, salles spécialisées au même niveau... Et le coût (de 1 000 F pour un encodeur à 10 000 F pour une tablette) peut faire reculer même les plus déterminés...

Plusieurs établissements ont fait de cet ordinateur le centre d'un poste de production : là où plusieurs groupes d'élèves travaillent sur une recherche, les plus avancés peuvent rédiger leur synthèse, ou préparer des affichages : titres, dessins et graphiques. Dans ce cas, les logiciels de traitement de texte ou de Publication Assistée par Ordinateur assurent une présentation professionnelle. Et pour l'intégration des images, un petit scanner à main rend de grands services.

On peut aussi, comme T Delivet (3) , professeur de sciences économiques et sociales au Lycée "Marie Curie" de Vire, entreprendre une enquête, en saisir les réponses, et établir un dépouillement avec un logiciel spécialisé (Ethnos, Sphinx), ou avec un tableur (tableaux croisés dans la version 5 du logiciel Excel).

Il nous a donc fallu négocier l'utilisation d'autres lieux équipés :

La disparition de l'option informatique a souvent libéré une salle spécialisée : il devenait possible d'y conduire des travaux dirigés. Mais en général, les machines commencent à dater : les 386 SX sont lents, et les disques durs de certains Olivetti ne peuvent dépasser 120 ou 180 Mo...

L'accès aux salles spécialisées est plus aléatoire : rien n'a été prévu pour les disciplines littéraires ou les sciences humaines. Les salles de bureautique sont occupées en permanence, les salles prévues pour l'option I.E.S.P ne comportent pas de logiciel destiné à nos disciplines.

Il est parfois difficile de faire accepter l'installation de logiciels d'histoire-géographie : la où les logiciels sous D.O.S tenaient sur une disquette, leurs équivalents sous Windows sont beaucoup plus volumineux, la désinstallation est rarement prévue. Et la crainte des virus complique la situation.

C'est regrettable, car ces salles, quand elles ont été installées récemment, comportent à la fois une partie technique, et une partie permettant un travail de groupe.

Enfin, il ne faut pas oublier les ressources du C.D.I.

Les historiens-géographes sont de grands consommateurs de la recherche documentaire. Le logiciel généralement utilisé est Mémolog, du C.R.D.P de Poitiers. Les dernières versions (Mémolog 3 sous Dos, BCDI pour Windows) permettent une recherche plein texte sur le titre, le résumé, les mots-clés : cet outil est généralement présenté aux élèves en début d'année, et il peut aussi nous rendre les plus grands services.

Dans quelques cas, les élèves ont aussi accès à des postes en libre-service. A Vire, le logiciel le plus couramment utilisé est PcUnivers (Edusoft), en liaison avec les cours de S.V.T. PcGlobe du même éditeur est davantage utilisé par les élèves qu'un atlas traditionnel.

Dans cette utilisation, formulons un regret : la manque de culture informatique des élèves ne permet pas toujours une sélection judicieuse des informations, ni une mise en forme personnelle (utilisation du copier-coller de Windows, des possibilités d'exportation...). Trop souvent, les élèves ignorent les équivalents papier ; la séduction technologique peut réduire l'exploration du contenu.

Par contre les CD-Roms disponibles offrent des outils de recherche incomparables : interrogation instantanée, dans le cas du dictionnaire encyclopédique Grolier 6 sous Windows, de l'ensemble des volumes pour un ou plusieurs concepts, affichage multimédia (textes, sons, images fixe ou animée en liens hypermédia).

QUELS LOGICIELS PEUVENT RENDRE SERVICE EN HISTOIRE-GEOGRAPHIE ?

Les exemples déjà cités montrent le faible nombre de logiciels éducatifs performants : beaucoup ont été conçus sur du matériel ancien ou non compatible. C'est en partie ce constat qui a éloigné de nombreux collègues de la pratique de l'informatique pédagogique. La situation est identique chez nos voisins britanniques qui avaient pourtant conçu près de 200 logiciels éducatifs : le logiciel le plus original en 1989 permettait de faire travailler les élèves sur la carrière des membres du " Long Parliament " : une telle transposition de la méthode historique pratiquée dans l'enseignement supérieur ne semble pas avoir été tentée en France.

Depuis quelques années, l'édition de logiciels éducatifs français est en panne : le C.N.D.P évite de faire de la concurrence aux éditeurs privés. Certains CRDP ou CDDP publient des exemples de séquences pédagogiques : CRDP de la Meuse, CRDP de Rouen, CRDP de Rennes... Les éditeurs parisiens semblent penser que le marché est trop étroit : de fait le transfert d'une source sur support informatique en accroît de façon surprenante le prix, sans que les avantages de l'informatique soient toujours présents.

Quelques domaines peuvent être explorés utilement :

 Les logiciels de cartographie statistique : dans ce domaine, l'offre est abondante depuis les pionniers sous Dos (Logicarte 2.5, Carto, Cartax), jusqu'aux plus récents sous Dos (Cartinfo) et sous Windows (Cartes et Bases 3.5, Cabral 1500, Logicarte 3).

Leur intérêt tient à la manipulation de méthodes statistiques, à la découverte et à la pratique de la sémiologie graphique. Tout autant que la qualité graphique des résultats, c'est la possibilité de produire une multitude de cartes, de pouvoir les comparer, de pouvoir actualiser les données, de personnaliser les exemples, qui en fait des outils incontournables. L'intervention de Georges Roques(Maison de la géographie, Montpellier), en novembre 1994, à l'IUFM de Caen, montrait que les documents produits peuvent et doivent précéder la conception de cartes-modèles.

La plupart de ces outils offrent les fonds de carte les plus couramment utilisés (France par départements ou par zone d'emploi, Etats-Unis par états...). L'exemple du travail réalisé au Lycée Jean Monnet de Mortagne montre tout le parti que l'on peut tirer d'un fonds communal local.

 Les logiciels outils : traitement de texte, tableur, gestion de base de données, logiciel de dessin.

Il s'agit de logiciels professionnels aux performances impressionnantes. Bien sûr, ils exigent un temps d'apprentissage important. Mais les bons livres d'initiation ne manquent pas, et souvent ces logiciels sont déjà installés sur les machines en version établissement. Leur utilisation n'a d'autre limite que notre imagination.

 Les bases documentaires :

Le logiciel le plus réussi à ce jour est "J'ai vécu au XVIII° siècle". Il permet une double utilisation : recherche de documents sur un thème et une ou des catégories sociales ( possibilité de travail sur la nature des documents retenus) ; création d'un personnage, et description de son rôle social, de ses activités...

Dans les prochains mois, on peut espérer voir apparaître des produits équivalents sur CD-Roms, avec possibilité de recherche en hypertexte ou en hypermédia.

 Les images satellitales : une version prometteuse de Titus sous Windows est annoncée depuis mai 1995 à un coût très raisonnable.

QUELLES SONT LES PROCHAINES PISTES A EXPLORER ?

 Le réseau d'établissement : parmi les lycées concernés, seul le lycée "Charles Tellier" de Condé sur Noireau est équipé. Aucun travail spécifique n'a été mené dans ce domaine. Les avantages ne manquent pas : le réseau peut donner accès depuis la salle de classe aux ressources du CDI, il doit aussi permettre un travail en coopération des élèves. Nous sommes demandeurs d'expériences en la matière.

 Internet : autoroutes de l'information, liaison informatique et télématique font partie du discours politique à la mode. Si les coûts de connexion sont maîtrisés, cet outil pourrait apporter des ressources intéressantes : consultation de bases de données, correspondance entre établissements... L'enjeu linguistique n'est pas négligeable : l'anglais y tient un rôle stratégique.

 Imagerie numérique : en mars dernier, une démonstration sur Macintosh réalisée au Mémorial de Caen, a fait entrevoir la possibilité des futurs médias. M Poccard, professeur d'économie au Lycée "Littré" d'Avranches, a guidé la réalisation par des élèves d'un travail sur la pêche : des séquences multimédias peuvent alors remplacer la traditionnelle exposition.

La difficulté principale est celle déjà rencontrée en vidéo : quelle part donner à la conception de séquences, par rapport à la consultation de produits déjà existants, établis par des professionnels ?

En conclusion, nous espérons que ces pages donneront à d'autres collègues l'envie et la volonté d'utiliser un outil qui s'impose peu à peu dans notre société. Il serait erroné d'affirmer que tout sera possible grâce à l'informatique. Les obstacles ne manqueront pas pour ceux qui feront ce choix. Mais nous avons agi d'abord, et avant tout, comme enseignants d'Histoire et de Géographie : puissent nos disciplines aider les élèves à aborder de façon critique cette nouvelle "culture"...

Daniel LETOUZEY
Lycée M.Curie-VIRE

(1)   Lycées dotés :
Lycée Charles de Gaulle - Caen - Mme A. Dufournier ; Lycée Charles Tellier - Conde sur Noireau : M.B. Fossard ; Lycée Charles-François Lebrun - Coutances : M.B. MAURY ; Lycée Jean Monnet - Mortagne - Mrs J.M. Beaudé et F. Andrieux ; Lycée Marie Curie - Vire : Mrs J.C. Guilloton et D. Letouzey.

(2)  NDLR : depuis la rédaction de cette synthèse, une option a été introduite : 25 heures/année (Quelle place dans un emploi du temps annuel ? Quels élèves ?).

(3)  L'enquête de T. Delivet sur les loisirs des élèves du Lycée "Marie Curie" de Vire permet de mesurer l'attitude des jeunes face à l'informatique :

 

OUI

NON

Ne se prononcent pas

TOTAL

Faites-vous de l'informatique ?

354

347

0

701

Plutôt des jeux ?

200

411

91

701

Plutôt de la programmation ?

109

487

105

701

Plutôt de l'exploitation de fichiers ?

193

409

99

701


Pratique par classe

OUI

NON

TOTAL

OUI en %

NON en %

Secondes

169

109

278

60.8

39.2

Premières L

0

21

21

0

100

Premières E.S

13

38

51

25.5

74.5

Premières S

30

28

58

51.7

48.3

Premières STT, SMS

57

19

76

75.0

25

Terminales L

0

18

18

0

100

Terminales E.S

13

27

40

32.5

67.5

Terminales S

11

14

25

44.0

56

Terminales STT

97

52

149

65.1

34.9

TOTAL

390

326

716

54.5

45.5


NDLR : cet article correspond au texte introductif d'un dossier " Histoire Géographie et Informatique " fourni à tous les lycées de l'académie de Caen. Les collègues intéressés peuvent demander copie de la brochure au CRDP de Caen (service informatique). Ce dossier est disponible sur disquettes dans la bourse d'échanges EPI sous la référence 7210-HG et sur le BBS Modula.


Article paru dans la Revue de l'EPI n° 80, décembre 1995.