Apport de l'informatique à l'enseignement littéraire
en vue des nouvelles épreuves du baccalauréat

Claudine Dubois

Etant donné le caractère très récent des nouvelles épreuves de Français et de Lettres (B.O. spécial n°10, juillet 1994) et le fait que les élèves passaient encore cette année l'examen selon l'ancienne formule, les réflexions qui suivent ne sont que des pistes de recherche n'ayant pas pu être toutes expérimentées.

Deux grandes perspectives ont été envisagées : l'utilisation de l'informatique dans le cadre de l'étude d'une oeuvre intégrale (programmes de Première et de Terminale L) et l'apport de l'informatique à la lecture-écriture du texte argumentatif.

ETUDE D'UNE OEUVRE INTEGRALE.

1. Utilisation de logiciels existants.

1.1 Hyperlivre, éditions ILIAS.

Un certain nombre d'oeuvres sont désormais disponibles sur disquette  ce qui en permet une approche différente, complémentaire de la lecture.

Mis à la disposition des élèves dans un Centre de Ressources, ce logiciel leur permet de parcourir l'oeuvre à partir de mots-clés, d'avoir accès au commentaire rédigé de certains passages ou poèmes et d'écrire leur propre commentaire (accès à WRITE). Cette démarche permet aux élèves de "circuler" librement dans le texte en fonction de thèmes qui leur sont proposés par le biais d'associations de mots renvoyant d'un passage à un autre et favorise ainsi une démarche de lecture nouvelle et beaucoup plus stimulante pour certains. Cette forme de découverte ou de redécouverte libre d'une oeuvre intégrale est perçue très positivement mais ne saurait donner lieu à aucune évaluation précise. Il semble toutefois , d'une part que ce travail personnel donne à l'élève une plus grande familiarité avec l'oeuvre ce qui devrait être d'un intérêt certain dans le cadre de l'entretien qui constituera la deuxième partie de l'épreuve orale de l'E.A.F. et d'autre part qu'il favorise la lecture par le biais de l'écran (l'oeuvre se trouve découpée en passages brefs) et d'un affichage particulièrement clair.

Outre cette utilisation facilitant grandement l'acquisition par les élèves d'une véritable autonomie par rapport au texte littéraire, le logiciel peut être utilisé par l'enseignant afin de préparer son cours (marquage de textes, introduction de commentaires personnels, sélection et impression de passages...) ; une utilisation plus interactive est possible dans le cadre d'un cours utilisant la rétroprojection : à partir de mots-clés choisis par les élèves, repérage des passages de l'oeuvre où ils apparaissent, relecture du contexte et élaboration d'une étude thématique ; dans cette perspective, on peut envisager qu'à la suite d'un tel travail, les élèves déterminent eux-mêmes les passages ou poèmes à expliquer en classe. Une telle démarche ne peut que redonner à la lecture littéraire son sens véritable ; elle n'est plus simple exercice scolaire imposé de l'extérieur mais implique une activité de choix et de réflexion réelle .

1.2 PISTES, éditions CNDP.

Ce logiciel de lexicométrie permet un traitement statistique du vocabulaire d'une oeuvre. Après un travail sur Baudelaire en classe de Première L, la même méthode a été utilisée en Terminale L pour l'étude de Cahier d'un retour au pays natal d'Aimé CESAIRE (au programme). Cette oeuvre se prête particulièrement à ce type de recherche puisqu'un des aspects déconcertants de sa lecture tient justement à la richesse et à la complexité du lexique utilisé. Des groupements thématiques opérés autour de termes comme "nègre" (et tous les mots de la même famille), "arbre" (et tous les noms d'arbres), "soleil" ont conduit à une meilleure perception de l'oeuvre d'abord jugée "illisible" par les élèves ; le temps a manqué pour conduire une réflexion sur le rôle et la signification que prend dans une telle oeuvre l'emploi d'un vocabulaire riche et presque ésotérique à partir des mots à occurrence unique.

2. Travail sur traitement de texte.

Grâce au traitement de texte, le professeur peut élaborer un corpus de passages de l'oeuvre en fonction de telle ou telle entrée et la proposer aux élèves de manière à construire avec eux l'analyse d'un aspect de l'oeuvre : un travail de sélection, de hiérarchisation et d'organisation est ensuite réalisé collectivement grâce à la rétroprojection. L'intérêt de l'informatique par rapport au support papier réside dans cette possibilité de déplacer rapidement et à la demande les différents éléments retenus, ainsi qu'au caractère réversible de ce déplacement qui favorise la rectification, à moindre coût, des erreurs ou l'amélioration des aspects jugés peu satisfaisants. Un travail de ce type a été réalisé en Terminale L à partir de tous les passages de Hamlet évoquant la folie.

A un stade ultérieur, on peut demander aux élèves eux-mêmes d'opérer la sélection des citations et de la proposer, voire de laisser à des volontaires la direction des opérations du simple relevé à l'organisation finale.

3. Travaux personnels d'élèves.

La constitution libre par les élèves d'hypertextes sur des passages de l'oeuvre qu'ils présenteront ensuite à l'ensemble de la classe donne toujours naissance à un ensemble de réflexions riche et très formateur dans la perspective des épreuves : devoir faire apparaître à l'écran telle information et non une autre, sous une forme relativement succincte comporte des exigences de rigueur que les élèves acceptent plus volontiers que dans un autre contexte.

Que les élèves puissent devenir le plus rapidement possible actifs et créateurs est une des conditions indispensables à l'utilisation pédagogique de l'informatique qui ne saurait être simple consommation passive de produits élaborés par d'autres ; l'acquisition de l'autonomie de l'élève devant un texte littéraire est à ce prix.

LECTURE-ECRITURE DU TEXTE ARGUMENTATIF.

1. Exploration du type de texte grâce à l'hypertexte.

La saisie par scanner d'un certain nombre de textes argumentatifs brefs et plus ou moins canoniques informés par des procédés simples (plages relief ou brefs commentaires) rend possible une première approche de ce type de texte en classe de Seconde et la définition de notions fondamentales étayées sur une véritable pratique de lecture ; ce travail peut se faire en modules et être repris constamment au cours de l'année, à chaque fois que le professeur le juge nécessaire, soit par tous les élèves, soit par un petit groupe ou même individuellement.

Cette pratique oblige les élèves à une véritable réflexion sur le texte (la rédaction de la définition des notions importantes peut leur être demandée : ils devront la dégager des différents exemples qui leur sont proposés). Elle présente, de plus, par rapport au travail sur papier, quelques avantages qui, pour triviaux qu'ils soient, n'en sont pas moins appréciables : une économie de papier et de photocopie, une constante possibilité d'accès (ce que le classeur d'élève le mieux tenu ne garantit jamais ...).

2. Travail sur le questionnement.

Le nouveau sujet 1 (Etude d'un texte argumentatif) comporte une première partie qui se compose de questions sur le texte, ce qui confronte les élèves à deux types de difficultés nouvelles : la compréhension des questions et la sélection des éléments du texte nécessaires à l'élaboration des réponses.

L'utilisation de l'hypertexte permet de fournir une aide dans ces deux domaines surtout si on peut la coupler avec celle d'un dictionnaire électronique. Elle ouvre en effet la possibilité de mettre en relation différentes questions pour aider à repérer les variations de formulation et les attentes implicites : le travail sur l'analyse de sujets trouve ici une nouvelle application . L'explicitation du vocabulaire grâce à l'hypertexte favorise également la tâche de compréhension des élèves.

La construction de la réponse est facilitée par la mise en évidence' dans le texte affiché à l'écran, des passages utilisables : loin de leur fournir des réponses toutes faites, on les invite à les élaborer par eux-mêmes à partir du texte ; ils apprennent ainsi à éviter le double écueil de la réponse hors sujet et de la réponse vague et insuffisamment justifiée.

3. Aide à l'écriture.

3.1 Réponses aux questions.

On peut penser qu'une réponse réfléchie (cf. supra) est déjà presque rédigée mais loin s'en faut parfois.

L'utilisation du traitement de texte constitue une aide considérable pour des élèves en difficulté, une fois levé l'obstacle de la frappe au clavier : une correction plus rapide des erreurs, la possibilité de retravailler certaines parties seulement de la réponse sans tout recopier, une production toujours claire et propre, parfois un correcteur d'orthographe constituent autant de stimulants.

Mais il est possible d'intervenir à un autre niveau pour aider les élèves à surmonter certains blocages : des hypertextes peuvent proposer des embryons de réponses à compléter, des aides lexicales ou grammaticales... élaborés soit par le professeur, soit par des élèves ayant réussi pour leur part à surmonter tel ou tel type de difficulté.

3.2 Travail sur le plan et la polyphonie.

Ecrire un texte argumentatif est une des contraintes de l'épreuve de Français ou de Lettres : une des exigences fondamentales est celle du plan permettant de juger de la capacité à structurer une pensée et un écrit.

Elle apparaît aussi bien dans la deuxième partie du premier sujet (Travaux d'écriture) que dans les autres sujets de Première et de Terminale L ou ES.

L'utilisation du traitement de texte rend possible un travail d'organisation en profondeur du plan et une meilleure gestion des procédés de concession ou de réfutation. Les élèves ont parfois du mal à sortir du schéma simpliste : "idées pour" et "idées contre" ; les saisir ou les leur faire saisir au clavier puis engager une réflexion collective (avec rétro projection) pour approfondir, nuancer et organiser les différents points de vue est une démarche formative du plus haut intérêt à différents niveaux d'apprentissage, surtout si l'on prend garde à sauver en plusieurs fichiers les différentes étapes du travail. Une expérimentation poussée dans ce domaine avec une analyse précise des stades successifs du travail serait du plus haut intérêt didactique.

3.3 Procédés d'écriture.

Un hypertexte qui recenserait quelques uns des principaux procédés d'écriture argumentative et les replacerait dans leur contexte à l'aide d'exemples littéraires constituerait une aide intéressante à l'écriture .

De manière moins ambitieuse, un tel environnement peut-être créé par hypertexte autour de types de questions représentatifs afin d'aider les élèves à mieux maîtriser ce nouvel exercice :

travail sur la réfutation par exemple, proposant

- des textes littéraires avec analyse par hypertexte des différents procédés utilisés

- et des travaux d'écriture de réfutation avec contraintes précises et éléments d'aide accessibles à la demande.

 

Plus efficace qu'une correction magistrale insuffisamment individualisée, ce travail peut être personnalisé en fonction des difficultés propres de l'élève, enrichi par lui-même, échangé, modifié... Ce caractère évolutif et différencié est un des apports fondamentaux du travail avec l'informatique .

3.4 Aide à la rédaction.

Tous les sujets de Français et de Lettres nécessitent de la part des élèves la capacité de se référer à un texte précis (texte proposé pour les sujets 1 et 2 ainsi qu'à l'oral, oeuvre au programme pour le sujet 3 et le sujet de Lettres). L'utilisation du traitement de texte rend possible un entraînement systématique sur ce point : sélection des citations pertinentes, utilisation de ces citations (découpage, résumé, insertion...) et proposition de différents modes de rédaction (corpus constitué à partir de copies d'élèves, d'annales corrigées, de propositions des élèves , informé ou non par hypertexte).

Par ailleurs, les pratiques déjà utilisées d'aide à la rédaction et au développement grâce au traitement de texte gardent évidemment leur place dans ce nouveau contexte scolaire.

L'informatique a donc bien sa place dans l'enseignement littéraire, dans ses nouvelles perspectives comme dans les précédentes : elle permet en effet, souplesse, individualisation des pratiques, échanges, approches nouvelles plus diversifiées des textes, répétition et correction indispensables au travail d'écriture. Les élèves apprécient l'utilisation de la machine qui leur permet de travailler à leur rythme et la disponibilité qu'elle entraîne chez l'enseignant, qui, déchargé de certains aspects de son cours, est plus ouvert au dialogue

L'élément essentiel de la réussite de ces démarches est la créativité des élèves : loin d'en faire des consommateurs passifs de connaissances et de savoir-faire qui leur seraient dispensés par la machine au lieu des enseignants, l'utilisation de l'informatique dans l'enseignement littéraire doit viser à faire d'eux des lecteurs curieux, méthodiques et autonomes en stimulant leurs capacités d'analyse et de réflexion sur les textes ainsi que leur maîtrise de l'écrit. Outil privilégié de recherche par les multiples possibilités d'approche du texte littéraire qu'il offre, l'ordinateur peut favoriser aussi les échanges entre élèves ou entre élèves et professeurs, échanges directs au moment de l'élaboration ou de la présentation d'un travail, échanges indirects par le biais de fichiers créés par les élèves ou les enseignants et disponibles en Centre de Ressources ou dans les C.D.I.

En outre, la venue rapide sur le marché de CD-ROM en tous genres favorisera un nouvel accès à la culture : des démarches pédagogiques nouvelles sont à construire dans ce sens afin que, là aussi, l'élève soit créateur et apprenne à utiliser savoirs et documents pour mieux exprimer sa perception du texte littéraire et donc sa propre personnalité.

Claudine Dubois
Lycée Baudelaire - Roubaix

Paru dans la  Revue de l'EPI  n° 80 de décembre 1995.
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