Vous avez dit calculatrices aux examens ?

Jacques Baudé

 

Partons de quelques faits tangibles...

1 - L'usage des calculatrices est prescrit, à juste titre, dans les programmes d'enseignement à l'école, au collège et au lycée.

2 - Les machines évoluent très vite et sont de plus en plus performantes. Eu égard à leurs performances accrues, leur prix ne cesse de baisser, même si la version dernier cri (cf. TI92) reste chère notamment pour les familles modestes.

... et d'affirmations qui semblent faire l'unanimité.

3 - Les examens sont censés évaluer les connaissances (savoirs et savoir-faire) acquises au cours de la scolarité, ce qui somme toute paraît raisonnable.

4 - L'égalité des chances devant l'examen doit être préservée, même si cette égalité est quelque peu malmenée par ailleurs.

Si l'on considère 1 et 3, il paraît difficile, sinon logiquement impossible, d'interdire les calculatrices aux examens. C'est pourtant devenu une pratique répandue.

2 et 4 ne font pas bon ménage. Certains élèves auront toujours les moyens de s'offrir la dernière version performante (TI92 en ce moment, TI "?" dans quelque temps, sans compter les autres constructeurs qui vont s'y mettre ; pour l'instant Texas Instruments est en situation de monopole...).

Y-a-t-il une issue autre que l'interdiction pure et simple ?

Le problème est difficile, s'il ne l'était pas il serait déjà résolu, mais ce n'est pas une raison pour faire comme s'il n'existait pas. Le temps n'arrange rien à l'affaire. Bientôt se posera le problème des portables.

Regardons de plus prêt le cas concret de la TI92 qui, par ses dimensions et ses caractéristiques, répond parfaitement aux critères de la circulaire n°86-228 du 28 juillet 1986, complétée par la note de service n°95-129 du 17 mai 1995 (BO n°22). Or cette machine, vendue environ 1 500 F, contient DERIVE et CABRIGEOMETRE (en plus de capacités de mémoire qui font de toutes les calculatrices alphanumériques des antisèches légales).

Elle est une aide très efficace à la résolution des problèmes de la seconde à la terminale, et au-delà, pour qui sait tirer parti de ses ressources.

Un certain nombre d'élèves ont déjà cette machine, ou l'auront en cours d'année, et sauront s'en servir avant le bac 96. Où est l'égalité des chances devant l'examen ? Que répondre aux élèves qui diront, en juillet prochain, « si j'avais eu les moyens de me payer la TI92, j'aurais eu mon bac » .

Question corrélée : si on autorise une telle prothèse, pourquoi en rester là ? Sur quels arguments s'appuyer pour refuser les dictionnaires, traducteurs, fichiers électroniques ?

Je suis lent pour dériver une fonction, je me sers de Dérive. Ma mémoire n'est pas fidèle, je me sers d'un dictionnaire/traducteur (bientôt inclu dans la calculatrice ?). Je ne me souviens jamais des PIB comparés du Japon et de la Chine, je fais appel à mon lecteur de CD-ROM portable... Après tout, Poincaré ne savait pas calculer et Ampère n'avait aucune mémoire, ils n'ont pas pour autant démérité.

Revenons à la TI92 qui nous « interpelle » cette fois sur le terrain, jusque là protégé, du calcul formel.

L'informatique triomphante grignote peu à peu le territoire « noble ». Ce furent les quatre opérations, puis le calcul numérique, la mémoire des formules... maintenant le calcul formel, bientôt les démonstrations automatiques, la traduction tout aussi automatique... Où sont les frontières de « l'intolérable » ? Vaste et passionnant sujet, que le MEN n'a pas vu venir ou si peu. Le Bac 96 n'est pas très loin. Les délais vont-ils être encore trop courts pour prendre des décisions concertées ?

À court terme, je ne vois que deux solutions :

  1. On interdit TI92. Les raisons ne manquent pas : il faut préserver l'égalité devant l'examen. Qui peut être contre ? « Le calcul formel ne doit pas faire appel à la machine », ... sous forme de non-dit.

  2. On ne fait rien, ça on sait faire... La TI92 est autorisée de fait et on introduit une nouvelle inégalité flagrante entre les candidats. La porte est grande ouverte à tous les auxiliaires électroniques.

Quelle que soit la solution choisie pour le Bac 96, elle risque fort d'être mauvaise. A moyen terme, je ne vois pas d'autre solution possible que la définition par le MEN d'une règle précise et claire.

Pour tel examen (le Bac ayant valeur exemplaire) doit être défini, en terme de fonctionnalités, ce qui est autorisé pour une durée de trois ans (seconde, première, Terminale) : tel type de machine ayant une mémoire de x octets, disposant d'un certain nombre de logiciels, etc.

Ceci étant lié ou pas à la proposition du CNP (1992) : une première partie d'épreuve sans accessoires qui permettrait de s'assurer qu'un certain nombre de connaissances sont disponibles dans l'ordinateur de bord appelé cervelle. Ça se discute.

En imposant pour plusieurs années - ce qui est fait pour les livres scolaires - un même type de calculatrice (ou de portable) on évite la fuite en avant terriblement inégalitaire. On peut assurer - si l'on ne va pas systématiquement vers le haut de gamme - des prix compatibles avec les budgets des familles.

Pour les calculatrices comme pour les ordinateurs le haut de gamme n'est pas indispensable au développement de compétences générales au moins au niveau du lycée. D'ailleurs le système éducatif ne peut se permettre de courir continuellement après la dernière version sous peine de s'épuiser financièrement, d'entraîner les familles dans des dépenses hors de proportion et d'y perdre ses finalités (du moins pour l'enseignement général).

Il faudra pour le MEN savoir négocier avec les constructeurs, qui devront conserver plusieurs années à leur catalogue le type de machine retenu, mais refuse-t-on un marché d'un million et demi d'élèves ?

Il faudra aussi contrôler les machines. On est déjà censés contrôler des dimensions... et d'éventuelles liaisons infrarouges. Serait-il plus difficile de reconnaître un label que... le visage d'un candidat sur une photo vieille de dix ans !

Quand on veut trouver des solutions, on les trouve. De toutes façons, il paraît difficile de faire plus mal que ce qu'on ne fait pas actuellement.

Jacques Baudé
C.A. de l'EPI

Paru dans la  Revue de l'EPI  n° 80 de décembre 1995.
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