Les Cartes de Restitution Vocale
Applications pédagogiques en cours d'anglais

Gérard Bordignon
 

     On a déjà reproché à l'ordinateur, malgré sa courte vie au service de la pédagogie, son caractère froid, sa déshumanisation. On a aussi souvent reproché à l'ordinateur le manque de variété des programmes et exercices qu'il proposait. En langue vivante notamment, on a critiqué le manque d'originalité des activités confiées aux élèves et surtout le côté artificiel et figé des exercices qui se contentaient de reproduire des situations de l'écrit. Enfin, il a longtemps manqué la dimension sonore, indispensable à l'apprentissage des langues vivantes.

     Depuis trois ans maintenant, j'utilise les possibilités de mes ordinateurs, couplés à des cartes de restitution vocale.

     Mais il convient tout d'abord de rappeler la différence entre la restitution vocale et la synthèse vocale. Dans le premier cas, c'est une voix humaine, la vôtre, la mienne, celle d'un autochtone si possible, qui entraîne l'élève ou le questionne. Dans le second cas, la voix est souvent métallique, nasillarde ou tout au moins nasale, et en tous cas froide et synthétique. De toutes façons, de tels programmes ne sont pas encore vraiment disponibles pour le professeur lambda.

     Par contre, ce qui est d'ores et déjà disponible, c'est la carte de restitution vocale. La première dont j'ai eu à connaître est la carte T.M.P.I. [1]

     Avant les caractéristiques techniques, la bande passante et le pitch, c'est son utilisation simple et ses qualités sonores qui m'ont d'emblée séduit. Accompagnée d'un logiciel que j'ai en partie réécrit pour l'angliciser d'abord, le rendre plus convivial et ergonomique ensuite, ces cartes m'ont permis de donner une dimension nouvelle à mes séances d'EIAO [2]

     J'ai pu rapidement équiper la salle informatique (12 postes) de cartes de ce type, financées par divers moyens et avec l'aide bienveillante de mon chef d'établissement. J'ai branché sur ces cartes micro(phones) et casques (de type Walkman à 10 francs l'unité) et j'ai rapidement disposé d'un pseudo laboratoire de langue.

     Les avantages d'une telle installation sont évidents :

  1. Pas de salle dédiée à un labo de langue, qui dans un petit établissement comme le nôtre [3] tournerait cinq ou six heures par semaine, immobiliserait une salle et du matériel lourd et coûteux.

  2. Disponibilité du parc micro à tout moment pour être utilisé par d'autres enseignants dans d'autres matières. Il me suffit (par précaution uniquement) de débrancher casques et microphones pour que la salle informatique retrouve son aspect « normal ».

  3. Faible surcoût dans un établissement déjà doté de machines performantes.

     Mes élèves ont tout de suite adopté cette technologie peu commune mais somme toute simple, le logiciel dont je dispose et dont j'ai parlé plus haut étant d'une utilisation toute intuitive. Plusieurs types d'exercices sont proposés aux élèves, mais tous font appel à la compréhension orale :

  1. Reconstitution de texte : entendu au casque, globalement d'abord, puis empan par empan, le texte s'inscrit à l'écran sur un masque au fur et à mesure que l'élève le frappe au clavier (je ne dispose pas encore de la reconnaissance orale !!!). Les mots exacts de la phrase s'affichent, les autres non, l'élève peut écouter chaque empan autant de fois qu'il le souhaite.

  2. Exercices de dictée : même principe que la reconstitution mais il n'y a pas cette fois-ci de masque à l'écran pour guider les élèves. L'exercice est donc plus difficile.

  3. Laboratoire de langue : ce module a ma préférence. Toutes les fonctions du laboratoire de langue sont disponibles, sauf la fonction d'espionnage et de correction instantanée par le professeur.

  4.      L'informatique m'avait déjà permis de travailler autrement, mieux à mon sens, plus intelligemment et d'éveiller l'intérêt des mes élèves pour les langues vivantes d'une part, pour les nouvelles technologies d'autre part.

     Mais l'apparition des cartes vocales a bouleversé mes schémas d'apprentissage. Je ne suis plus le seul maître dans mes classes et je dois partager mon « savoir » avec les machines qui ont plus d'ascendant sur les élèves que moi. On conteste (à juste titre peut-être !) ma prononciation d'un mot, une intonation trop molle qu'on me fait comparer à ce qu'il a dit, LUI, l'ordinateur. La concurrence est terrible, mais je m'accroche. Tout cela pour dire que la machine est parfaitement intégrée par les élèves et qu'ils la considèrent comme un partenaire et non pas comme une contrainte.

     De plus, le logiciel que j'utilise semble taillé pour mes élèves de lycée professionnel. Je peux aisément entrer les textes des méthodes audio-orales que j'utilise, et je propose le plus souvent un travail sur un texte connu et étudié en classe plus traditionnelle, ce qui pousse d'autant plus mes élèves à étudier qu'ils savent qu'ils vont retrouver ce texte plus tard sur les machines. La motivation est essentielle pour un résultat optimum et je tiens là pour l'instant un outil d'apprentissage que j'abandonnerais avec beaucoup de regrets.

     Mais une ombre se dessine sur le tableau quasiment idyllique que je brosse : il faudra bien que j'évolue aussi et que j'abandonne un jour ou l'autre ce logiciel et cette façon de travailler ; je vois plusieurs raisons à l'inéluctabilité de cette situation :

     La première, la plus importante est la disparition de la société T.M.P.I. qui n'a pas su s'adapter au marché récent du multimédia conquérant. Les cartes que j'utilise ne fonctionnent pas sous WINDOWS et me ferment ainsi tout un pan des logiciels qui apparaissent sur le marché aujourd'hui, notamment les logiciels sur CD-ROM.

     La seconde raison découle tout naturellement de la première : plus aucun logiciel n'est écrit pour les cartes T.M.P.I. et je ne peux, de ce fait échanger mes préparations avec personne (l'échange est important car les temps de préparation sont longs en informatique).

     Une autre raison est le vieillissement de mon matériel et sa disparition à terme, faute de réparations possibles.

     Une jeune société, COLORADO technologies, à Saint-Ouen, propose un logiciel, sous WINDOWS, assez semblable à celui dont je dispose sous DOS. Je suis, dans le cadre de la M.A.F.P.E.N. en train de l'expérimenter et de voir de quelles façons on peut travailler, dans l'académie, avec un tel logiciel.

     Car les éditeurs, contrairement à ce qui s'est passé pour d'autres phénomènes, ont mis du temps à réagir face à l'arrivée de ces « nouvelles » nouvelles technologies.

     JERIKO propose une version carte vocale de son logiciel ECHOLANGUES [4]. Aide à la compréhension de l'oral, sous la forme d'un Q.C.M. informatisé, ECHOLANGUES version cassette nécessitait l'utilisation d'un magnétophone pour l'écoute collective du texte sur lequel porterait le Q.C.M. Pour qui ne connaissait que le lecteur de cassettes, le son géré par ordinateur offre une souplesse (et une qualité) insoupçonnée.

     La version carte vocale supprime le magnétophone puisque l'écoute devient individuelle, le son étant numérisé et stocké sur le disque dur. L'élève travaille désormais à son rythme et les plus rapides ne sont pas pénalisés par les plus lents (et vice versa) pour la deuxième écoute collective après le premier questionnement. Le logiciel est ouvert et le professeur courageux peut lui-même créer ses questionnaires à partir des ses propres documents papiers et sonores.

     Mais la véritable innovation dans le domaine logiciel tient à mon avis à l'arrivée de ECHOLANGUES LABO [5], toujours chez JERIKO.

     C'est un véritable laboratoire de langue, interactif, dans lequel l'élève mais surtout l'étudiant retrouvera les fonctionnalités du labo « traditionnel » avec en plus la rapidité des accès (directs) aux différentes séquences et l'excellence de la qualité sonore. Il ne s'agit plus là de simples répétitions de phrases ou d'empans, mais de création de questions, réponses, tags, etc. à partir de stimuli sonores ou visuels. Car ECHOLANGUES LABO permet d'intégrer non seulement du son mais aussi des images (.PCX pour l'instant) et permettre ainsi de solliciter l'élève pour des réponses plus complètes et plus personnelles.

     De nombreuses cartes sonores sont désormais présentes sur le marché, toutes répondant à la norme M.PC.2 [6] Pour les deux plus célèbres d'entre elles, Sound BlasterÔ et Pro Audio SpectrumÔ (déclinées sur tous les modes : pro, pro II, 16, ASP, etc.), JERIKO propose désormais une version de ECHOLANGUES et ECHOLANGUES LABO. En ce qui concerne le logiciel, pas de changement. Pour les avoir expérimentés, je trouve que ces gros calibres du son n'apportent rien par rapport à la « petite » carte T.M.P.I. si ce n'est la notoriété et la fiabilité d'un réseau national et mondial. Cependant, mais ce n'est pas rien, ces cartes s'intègrent à l'interface WINDOWSÔ et permettent, grâce au multimédia désormais très présent d'autres utilisations avec les CD-ROM notamment.

     Il ne manque à cette installation que la communication avec le professeur (le vrai, l'humain !) que possède le traditionnel laboratoire de langues. Mais les réseaux pédagogiques font de grands pas et sont en passe de s'implanter dans les établissements scolaires. Les ordinateurs pourront alors communiquer entre eux et le professeur sera à même d'intervenir en temps réel, sur les productions orales des élèves.

Description d'un séance en salle informatique (1 heure)

     En ce qui concerne mes élèves de Lycée Professionnel, je n'envisage pas de séance en salle informatique sans une préparation préalable en salle de classe traditionnelle. En effet, j'ai expérimenté les deux approches et celle avec préparation me semble de loin préférable.

     Rappelons rapidement le contexte des Lycées professionnels : les élèves sont malheureusement le plus souvent orientés par l'échec et n'aboutissent dans nos structures que contraints et forcés. De plus, ce qui les a conduits là, c'est leur échec en enseignement général au collège, y compris dans une langue vivante. Écorchés vifs, ils viennent en classe de langue en traînant les pieds. Si d'emblée ils sont à nouveau en situation d'échec devant un texte qu'ils ne comprennent pas (l'ordinateur ne fait pas tout !), le remède sera rapidement pire que le mal. Une grande partie du travail de l'enseignant de L.P. consiste donc à redonner confiance au jeune en rupture avec l'enseignement, même celui des langues vivantes.

     Aussi, je ne travaille en salle informatique que sur des textes connus des élèves, soit parce qu'ils les ont déjà lus en classe, soit parce qu'ils les ont déjà travaillés par des jeux de question, de substitutions, etc. Ainsi, ils ne sont jamais entièrement « neufs » devant un texte, et le peu qu'ils savent, le peu dont ils se souviennent et le peu qu'ils ont appris font un tout qui leur permet de démarrer et de ne pas dire d'emblée « qu'ils n'ont rien compris ».

Laboratoire de langue (8 à 15 minutes)

     Ce premier exercice permet de se mettre le texte en bouche : l'élève entend des phrases ou des extraits de phrases provenant du texte ; toujours très courts, ces extraits doivent ensuite être enregistrés au micro, réécoutés, comparés au modèle, réenregistrés éventuellement si la comparaison n'est pas satisfaisante.

     J'ai d'abord été sceptique quant à l'utilité d'un tel exercice car les élèves le bâclaient en 2 ou 3 minutes. J'ai révisé mon jugement lorsque j'ai compris que je n'avais pas suffisamment expliqué ce que j'attendais de cet exercice, notamment de la comparaison avec le modèle. Mes objectifs précisés, mes élèves ont apporté beaucoup plus de soin à sa réalisation et je pense, à les entendre ensuite en classe, que l'exercice en fructueux. J'y consacre 8 à 15 minutes selon la longueur du texte et chacun travaille déjà à son rythme. Je circule entre les machine et corrige chacun à la volée, demandant des écoutes supplémentaires, d'autres enregistrements si ce que j'ai entendu me semble perfectible.

Reconstitution de texte

     Dans cet exercice, l'élève entend chaque phrase ou extrait de phrase séparément (ce sont les mêmes extraits que ceux qu'il a prononcés précédemment). Il doit reconstituer tout le texte, phrase après phrase, empan après empan ; il est aidé par la disposition de l'écran qui lui montre, pour chaque mot à taper, le nombre des lettres matérialisées par des points. Seuls les mots exacts s'affichent à la place du masque contenant les points, les mots inexacts étant rejetés.

     Cet exercice peut être long et occuper tout le reste de la séquence informatique. Chacun fonctionne alors complètement à son rythme et mon travail est plus difficile car j'ai rapidement 12 niveaux différents dans le groupe (pour 12 machines en service). Mon rôle est moins alors de corriger que d'aider, de vérifier certaines acquisitions et de constater des manques : je peux ainsi consacrer quelques minutes à chacun, individuellement et expliquer une notion que je croyais acquise. Il m'arrive fréquemment aussi de « donner » un mot à un élève bloqué à un endroit sur quelque chose qu'il ne comprend pas ou qu'il n'arrive plus à formuler. J'estime alors l'importance de la lacune et je décide de la traiter sur le champ, en particulier, ou de la remettre à plus tard, en collectif.

     Beaucoup d'élèves ne vont pas plus loin que ce deuxième exercice et certains ne le terminent même pas. C'est un risque que j'accepte, sachant que les heures n'ont en général que 50 minutes et qu'il faut aussi avancer.

Exercices de dictée

     Seuls les meilleurs ou les plus avancés des élèves parviennent à ce troisième exercice. Peu le mènent à terme et c'est un peu le mystère d'une séance informatique, la carotte ou le sucre d'orge. Tant et si bien que certains apprennent, à l'avance, le texte par coeur pour pouvoir accéder à ce petit bout de programme. Je ne m'en offusque pas, c'est une nouvelle règle du jeu que je n'ai pas établie moi-même mais dont je m'accommode. Il est parfois gratifiant de se dire que ses élèves ont fait un travail supplémentaire, sans incitation ni récompense.

     Car il s'agit tout bonnement de reconstituer les texte sous la dictée de la machine, phrase par phrase ou empan par empan (toujours les mêmes que précédemment). La difficulté tient au fait qu'il n'y a plus de masque de points et que les erreurs ne sont plus signalées : une phrase est acceptée ou rejetée dans sa totalité.

     Une séance informatique telle que décrite ci-dessus a lieu environ tous les quinze jours par groupe d'une douzaine d'élèves disposant chacun d'une machine. Ces séances sont toujours préparées d'abord et exploitées ensuite en classe par des exercices appropriés et ne sont en aucun cas à assimiler à des séances récréatives (que je ne condamne pas à priori) qui peuvent avoir lieu en fin de trimestre par exemple, ou lorsqu'il y a trop de malade et qu'on ne peut pas faire cours « normalement » ou encore pour x bonnes raisons. Une séance informatique de ce type doit être programmée, inclue dans une progression, exploitée.

     Un ordinateur équipé d'une telle façon ne représente pas encore tout à fait une alternative au laboratoire de langues. Mais en alliant souplesse, pédagogie différenciée et faible coût, il permet un enseignement personnalisé et favorise la compréhension et la production orales.

Gérard Bordignon
PLP2 anglais
LP Brassac les Mines
Formateur CARI en LV
MAFPEN Clermont Ferrand

Paru dans la  Revue de l'EPI  n° 75 de septembre 1994.
Vous pouvez télécharger cet article au format .pdf (120 Ko).

NOTES

[1] Techni Musique et Paroles Informatiques à Clermont-Ferrand.

[2] Enseignement Intelligent Assisté par Ordinateur.

[3] Lycée Professionnel François-Rabelais, BRASSAC LES MINES, 250 élèves.

[4] Licence Mixte version monoposte 1 800 francs.

[5] Licence Mixte version monoposte 1 600 francs, site 3 500 francs.

[6] Multimédia PC.

___________________
Association EPI

Accueil

Sommaires des Revues