Les novices en informatique,
attentes en formation,
utilisation des TICE et évolution

Christophe Gentil
 

Introduction

     Sous le terme TICE, on désigne de nos jours les « anciennes » TIC. Technologies de l'Information et de la Communication dans l'Enseignement, elles justifient, dans leur appellation même, les volontés politiques d'introduire dans la pratique des enseignants l'usage de l'informatique et de l'audiovisuel. Nous ne nous intéresserons dans cette étude qu'à la composante informatique des TICE et non pas à l'Informatique pour elle-même.

     À l'heure du boum de l'Internet et de la nouvelle économie liée à ces nouvelles technologies, la formation initiale des enseignants se trouve confrontée à des choix qui engagent l'Éducation nationale non seulement pour aujourd'hui mais également pour les années à venir. Quelle formation pour quel public et avec quelle technologie ? Voici, en substance, la question à laquelle doivent répondre les IUFM.

     Entre 1990 et 1993, Georges-Louis Baron et Éric Bruillard [BAR93] ont mené, à l'IUFM de Créteil, une étude sur les attentes et opinions des enseignants vis-à-vis de l'informatique. En nous attachant à la population considérée comme novice en informatique à l'IUFM de Paris sur deux ans (1999/2000 et 2000/2001), nous avons cherché nous aussi à mettre en lumière ces attentes et opinions, à une époque où les nouvelles technologies sont plus que jamais d'actualité. Quel est le profil de cette population ? Quels regards et quels espoirs a-t-elle sur les curricula d'informatique en IUFM ? Quelles sont ses réticences à l'issue de sa formation ?

     Puis, en effectuant un suivi de la population novice en 1999, nous avons voulu savoir si les anciens novices avaient, depuis leur formation, exploité les ressources informatiques liées aux TICE, et quelles étaient les difficultés qu'ils avaient rencontrées.

     À partir d'une étude qualitative et quantitative, nous avons mis en évidence la diversité du public novice, le consensus autour de l'informatique des professeurs des écoles d'une part et des professeurs de collèges et lycées d'autre part. Nous avons constaté que les formations rencontraient leurs limites face aux a priori vis-à-vis de l'informatique. Cependant, le fort taux d'utilisation de l'informatique, un an après la remédiation et une bonne connaissance des nouveaux dispositifs mis en place par l'Éducation nationale (B2I  : Brevet Informatique et Internet) mettent en exergue tous les paradoxes de cette population.

La population novice

     L'émergence rapide de l'informatique et d'Internet - certainement la plus rapide dans l'histoire des technologies de la communication - a créé de manière presque instantanée une population de novices en informatique. Passée la difficulté de détection de cette population , une prédiction sur son profil constitue un outil de travail et de préparation pour les formateurs chargés de l'enseignement de la composante informatique des TICE. Ces derniers pourront alors parvenir à une meilleure adéquation entre leurs cours et leur public.

     Sur les 280 PE2 (Professeurs des écoles deuxième année) en formation pour 1999 / 2000, 144 (soit 51 %) ont été considérés à l'issue d'un questionnaire comme n'ayant pas les bases suffisantes pour utiliser pleinement l'informatique. Parmi ces 144 stagiaires, 34 ont reconnu n'avoir jamais utilisé d'ordinateur. Sur les 454 PLC2 (Professeurs des collèges et lycées deuxième année et assimilés), 119 n'avaient pas les bases suffisantes et 30 n'avaient jamais utilisé d'ordinateur. Nous qualifierons de TICE 0 la population de 263 individus (144 PE2 + 119 PLC2) et de novices la population de 64 (30 PE2 + 34 PLC2). La remédiation a pour objectif d'améliorer les compétences instrumentales et organisationnelles des stagiaires.

     Les principaux critères retenus pour l'étude statistique des populations sont présentés dans le tableau 1.

Tableau 1
Critères retenus pour l'analyse statistique (étude des attirances par khi 2)

 
  • Âge.
  • Sexe.
  • Situation matrimoniale.
  • Niveau d'études.
  • Concours obtenu (regroupement des disciplines suivant Baron et Bruillard [BAR93]).
  • Options éventuelles au concours.
  • Situation professionnelle avant la réussite à un concours.
  • Attirances inter-items du questionnaire.
  • Langue vivante parlée.

Tous les critères ont été croisés entre eux lors de l'étude.

     Ainsi que le montrent les figures 1 et 2, pour la population TICE 0 en 1999 / 2000, le traitement de texte était la principale utilisation de l'ordinateur des stagiaires entrant à l'IUFM. L'utilisation de logiciels à caractère pédagogique précédait l'utilisation d'Internet, preuve de l'implication des stagiaires pour leur futur métier, ce avant même la réussite aux concours d'entrée dans l'Éducation nationale.

     Seuls 73 questionnaires étaient disponibles pour les PLC2 99 / 00.

     En 2000 / 2001, sur les 342 PE2 en formation, 112 ont été classés en TICE 0 (soit 32 %) et 16 apparaissent comme novices. Sur les 479 PLC2, 91 ont été classé en TICE 0 (soit 19 %) et 22 sont novices. On constate la diminution des populations TICE 0 et novices, conséquence d'une plus large médiatisation des nouvelles technologies et de l'augmentation du taux d'équipement personnel des stagiaires. Pour la population TICE 0 en 2000 / 2001, le traitement de texte reste toujours l'utilisation première de l'informatique. Il y a par contre prédominance de l'utilisation d'Internet sur les logiciels pédagogiques. On peut y voir un corollaire du taux de connections en hausse de la population française.

     Une étude purement statistique des résultats du questionnaire d'entrée ainsi que des provenances des stagiaires n'a pas permis de mettre en avant un profil type des TICE 0 et des novices. Les attirances entre les items du questionnaire sont inexistantes. La discipline d'origine des stagiaires et leur niveau d'études n'apparaissent pas non plus comme un élément caractéristique. Nous pouvons seulement dire qu'un stagiaire TICE 0 est un étudiant de l'IUFM.

Opinions et attentes des novices

     Afin de mieux déterminer les opinions et attentes des novices, nous avons interviewé un panel de 20 stagiaires parmi les novices en 1999 / 2000. Ces entretiens ont eu lieu après la remédiation en informatique. Les stagiaires avaient déjà conduit une classe pendant plus d'un mois. La trame utilisée était inspirée de celle mise en place par Harrari à Créteil [HAR00].

     La population est globalement conquise par les TICE. Les stagiaires, ne voyant derrière cette appellation que l'usage de l'informatique, peuvent se partager en deux sous-populations :

     Les futurs professeurs des écoles voient dans l'informatique un formidable outil au service des élèves. Outil d'apprentissage, outil de vérification des acquis ou outil de soutien pour les élèves en difficulté, l'utilisation de l'ordinateur en classe se justifie pleinement de manière transversale.

     Les futurs professeurs des lycées ou collèges positionnent l'ordinateur comme un assistant pour l'enseignant. Communiquer entre enseignants ou effectuer des recherches pour préparer les séquences pédagogiques justifient l'équipement personnel des enseignants, pas des établissements.

     Quoi qu'il en soit, les réfractaires ont plus une attitude de refus de ce qu'ils considèrent comme une ingérence de l'administration dans leur pratique que de ce qui relève de l'informatique en elle-même. Il suffit pour cela de constater que cette population d'enseignants est utilisatrice d'ordinateur depuis la remédiation. En fonction de l'usage de l'artefact qui est fait, l'informatique peut se présenter pour certains comme une perte de temps. Camouflant à leurs yeux un contenu pauvre par un contenant flatteur, l'informatique amène les stagiaires à s'interroger spontanément sur les moyens et critères d'évaluation des logiciels dit éducatifs d'une part et des travaux des élèves d'autre part. La population la plus âgée est particulièrement conquise, partant de l'observation des pratiques de leurs enfants.

     Hélas, derrière cette vision optimiste de la part de stagiaires se cache dans leur pratique une autre réalité. Se ressentant comme une pièce rajoutée au sein de leur établissement scolaire, les PLC voient la salle d'informatique comme une zone réservée aux enseignants de technologie. Leurs craintes de déplaire ou de mal faire devant un ordinateur et, par conséquent, de courir le risque de s'attirer les foudres de leurs collègues, l'emportent sur leur volonté d'utiliser les technologies d'information et de communication. Les professeurs des écoles, quant à eux, ne se sentent pas capables de mener une séance en salle d'informatique devant élèves. Là aussi, les difficultés liées à un artefact qu'ils ont l'impression de ne pas maîtriser ou de moins bien maîtriser que les élèves sont un frein aux TICE. Tous ont l'impression que l'utilisation de l'ordinateur inverse les rapports qui existent entre les enseignants et les élèves.

En poste...

     En décembre 2000, nous avons recontacté via le courrier électronique les 20 stagiaires novices qui avaient été interviewés sous couvert d'information sur le B2I. Le retour important que nous avons enregistré dans la semaine qui a suivie (15 réponses) montre que l'utilisation pour la communication d'Internet est fortement acquise.

     Sept PLC ont répondu. Six se trouvent maintenant en poste hors de la région parisienne et un se trouve dans l'académie de Créteil. Aucun n'avait, à la date du 1er décembre, mené de cours ayant pour support l'ordinateur. Différence d'équipement entre la région parisienne et la province notamment en terme de connection à Internet, mauvaise information sur les conditions de réservations de la salle informatique, surcharge de travail dans la préparation des cours, sont les principales raisons mises en avant pour expliquer cette désaffection. Le problème du niveau de l'enseignant n'est plus évoqué. Ne se sentant pas concernés par le B2I, tous ont déclaré ne pas vouloir en prendre connaissance.

     Huit PE ont répondu. Contrairement aux PLC, tous sont restés sur Paris. Trois sont en cycle 1, trois en cycle 2, deux en cycle 3. Les cinq PE en poste en cycle 2 et 3 ont été amenés à utiliser la salle informatique (dans quatre cas) ou les ordinateurs fond de classe (dans un cas). La faible considération pour ces séances (jugées comme purement occupationnelles ou imposées par la direction de l'école) ternit quelque peu ce tableau. Tous avaient été informés sur le B2I et 4 considéraient ne pas avoir le niveau que devaient atteindre leurs élèves. On peut considérer ces dires comme relativement pessimistes dans la mesure où ils ont été capables de lire et d'envoyer un e-mail. De plus, l'obligation institutionnelle de demande de mutation par Internet en utilisant le site SIAM (ce que tous ont eu à faire) constitue une utilisation directe de leurs connaissances.

Conclusions et perspectives. Limites de l'étude

     Premier constat : l'IUFM parvient à conquérir un public de novices et à l'amener à utiliser les TICE, et notamment l'informatique. Oui mais...

     Deuxième constat : Oui mais... ces novices, dans le peu de temps imparti, restent un public inexpérimenté. Faire sans savoir-faire reste le maître mot de nombreux stagiaires.

     Troisième constat : « les croyances ont la vie dure ». Le concept de travail en équipe et l'arrivée dans le paysage éducatif des nouvelles technologies au même titre que le manuel ou que le constructivisme semblent faire peur aux stagiaires. Ils se sentent dépossédés d'une partie de leur prestige et de leur pouvoir. 

     L'étude que nous avons menée présente cependant plusieurs biais qu'il convient de souligner.

     Nous n'avons pas été maîtres du questionnaire d'entrée qu'ont eu à remplir les stagiaires. Ce dernier a été entièrement conçu par l'IUFM de Paris et avec comme seul objectif de déceler les futurs TICE 0 et non pas de quantifier les connaissances de chacun. De plus, l'intégralité de ces questionnaires n'a pas été disponible au cours de cette étude. Nos conclusions sur ce questionnaire, et donc sur le profil des TICE 0, s'en trouvent donc limitées. Un autre biais qui apparaît est la volonté que certains stagiaires ont pu avoir d'éviter de suivre les cours de remédiation. Il apparaît en effet à la lecture des questionnaires que des stagiaires ont volontairement surestimé leurs compétences. Cette population, qui pourrait apparaître comme la plus réfractaire, a hélas échappé à notre enquête.

     Une autre limite est la faiblesse quantitative de la population réellement novice qui a été détectée. Il faudrait pouvoir mener cette enquête sur plusieurs années et sur plusieurs IUFM afin de disposer d'un panel plus important et surtout effectuer dans le temps un suivi de toutes ces populations.

Christophe Gentil

Paru dans la  Revue de l'EPI  n° 100 de décembre 2000.
Vous pouvez télécharger cet article au format .pdf (167 Ko).

RÉFÉRENCES

[BAR93] Baron, G.-L. & Bruillard, É. (1993), La prise en compte de l'informatique dans la formation des enseignants. Étude de cas dans un IUFM. Rapport technique INRP 93-4 092

[BAR96] Baron, G.-L. & Bruillard, É. (1996), L'informatique et ses usagers dans l'éducation. Paris, PUF, 320 p.

[GEN00] Gentil, C. (2000), La population novice en informatique à l'IUFM de Paris. Mémoire de DEA. INRP-LIREST-ENS de CACHAN. (http://membres.tripod.fr/dea_tice)

[HAR00] Harrari, M., Entretiens à l'IUFM de Créteil. Document de travail.

[WEI97] Weil-Barais, A. (Coord) (1997), Les méthodes en psychologie (observation, expérimentation, enquête, travaux d'étude et de recherche). Paris : Rosny

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